Peines alternatives, lois «vide-prisons» ou prise en charge par la société de ses déviances

Adnan Debbarh.

ChroniqueLe rattrapage des retards oblige le Maroc à condenser dans un court laps de temps la réalisation des réformes à même de l’installer dans la modernité. Si certaines de ces réformes «passent» facilement, d’autres, essentiellement sociales, sont plus compliquées à réussir : le Code de la famille, les formes de la punition et de l’enfermement...

Le 24/08/2023 à 15h01

En dépassant le seuil de 100.000 détenus, le Maroc a rejoint le peloton des pays ayant un nombre de prisonniers élevé par rapport à leurs populations. Il est à 260 prisonniers pour 100.000 habitants, ce qui le rapproche de la Turquie et de l’Iran (270) et l’éloigne fortement de la moyenne européenne (100) et même de certains pays environnants. Au vu de la capacité d’accueil des prisons (64.600 lits), il se retrouve aussi avec une forte densité carcérale (+150%) et un faible taux d’encadrement, rendant l’ensemble du système pénitentiaire dispendieux et faiblement apte à remplir l’une de ses principales missions: la lutte contre la récidive.

Les raisons avancées par nombre d’analystes de cette surpopulation carcérale sont multiples: priorité donnée à l’enfermement comme «la sanction» par excellence, manque de formation des juges et retards dans les procédures judiciaires causant le niveau élevé de la détention provisoire, absence de peines alternatives, mixité de détenus aux délits divers due à la faiblesse des infrastructures, difficultés de réinsertion des prisonniers dans la société voire désocialisation…

Socialement, ce taux élevé de délinquants dans la société marocaine qui n’est pas particulièrement violente comme la Turquie ou autoritaire comme l’Iran, s’explique par le faible taux d’activité de la population (44%) et des inégalités économiques importantes. La société traversée par plusieurs frustrations développe beaucoup de délinquance de la pauvreté et de la précarité.

En attente de l’amélioration de la situation économique et sociale de la société, quelles sont les propositions susceptibles de désengorger les prisons ?

Il y a quelques années, déjà, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) avait publié un document intitulé sobrement «Les peines alternatives» dans lequel après avoir établi le constat d’une inquiétante surpopulation carcérale dans le pays, proposait l’adoption de peines alternatives: travaux d’intérêt général, bracelet électronique, amendes pécuniaires. A travers l’adoption de ces nouvelles formes de peines le pays pouvait réaliser deux objectifs: vider des prisons fortement encombrées et aligner sa législation des droits de l’homme avec ce qui est «universellement reconnu». Finalement, il semble qu’il ait été entendu par l’Exécutif en la personne du ministre de la Justice qui a fait passer dernièrement un projet de loi sur la question au Conseil des ministres, retenant trois variantes de peines alternatives: les travaux d’utilité publique, la surveillance électronique et la restriction de certains droits. Tout en précisant bien que les crimes graves et les récidivistes étaient exclus. La sortie tonitruante et «on time» il y a quelques jours du délégué général de la Délégation générale à l’Administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR), chiffres à l’appui, sur la surpopulation carcérale va certainement «aider» le ministre à faire passer la loi sans encombre au parlement lors de la prochaine session.

Pourquoi tant de retards et d’hésitations de la part de l’exécutif? Il s’agit d’un sujet social lourd. Les formes de punitions qu’une société estime devoir infliger en toute légitimité à ses déviants se construisent et évoluent dans la durée. Le philosophe français Michel Foucault a magistralement expliqué comment il a fallu plusieurs siècles à l’opinion publique occidentale pour accepter/intérioriser le passage des châtiments corporels exécutés en publics réservés aux criminels à la seule privation de libertés entre quatre murs. Au Maroc jusqu’au début du XX siècle, il n’était pas choquant de voir accroché aux portes et enceintes des villes les têtes de criminels. Chez le Marocain, musulman imprégné de la culture du «châtiment», subsiste toujours un préjugé social de base: punition équivaut au moins à emprisonnement. Aujourd’hui, on vient lui proposer/imposer des peines alternatives sans débat de société. C’est la meilleure manière de courir le risque de se voir opposer un rejet de la part de celle-ci. Car à moins de considérer que les peines alternatives sont un moyen de vider les prisons et de rendre à la société ses délinquants, il faut un travail de fond d’explication pour changer les mentalités, chose qu’une seule loi ne pourrait faire. Les peines alternatives pour rencontrer le succès escompté doivent prendre leur place dans l’imaginaire des gens comme de véritables peines destinées à réprouver un comportement déviant tout en n’excluant pas leurs auteurs de la communauté. La société marocaine est-elle prête à cet exercice? Est-elle prête à cohabiter voire à gérer convenablement la petite délinquance? A voir.

Le politique, qu’il soit dans l’exécutif ou le législatif, a un rôle crucial dans la réussite des réformes, son rôle ne saurait se limiter à confectionner des lois, il doit faire preuve de pédagogie pour expliquer leur intérêt pour l’avancement de la société. Une fois adoptées, les réformes doivent disposer des moyens pour être appliquées de manière convenable. Dans le cas des peines alternatives c’est un aspect très important. Il doit avoir in fine le courage de procéder de temps en temps à leur évaluation.

Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, nous dirons que pour réussir des réformes modernes, il faut des politiques empruntant une démarche moderne.

Par Adnan Debbarh
Le 24/08/2023 à 15h01