C’est le mensuel Bab, produit de l’agence Maghreb arabe presse, qui pose la question, mène l’enquête et a bien raison de le faire. Dans sa livraison de septembre, Bab commence par faire le constat que si le projet de loi de finance rectificative a pu voir le jour, et dans les temps, ce n’est pas grâce à l’engagement de nos élus, mais à ces «législateurs de l’ombre». Entendez ces armées d’experts, consultants, cabinets d’étude… qui dès qu’il s’agit de textes législatifs techniques, ou quand les choses se corsent, sont appelés au secours par nos parlementaires.
Quand on sait que 20% de nos élus n’ont pas le bac, que 1,27% d'entre eux n’ont aucun niveau scolaire, que 4,56% d'entre eux n’ont pas dépassé le cap du primaire et que 19,49%d'entre eux se sont limités au secondaire, un tel recours paraît essentiel, voire salvateur. «Pour cette raison -et bien d'autres- nos législateurs ne sont pas forcément nos législateurs! Le débat sous la coupole du parlement se fait et se prépare ailleurs», lit-on.
Le phénomène est mondial, nous apprend la parution. Aux États-Unis, les chercheurs d'Harvard font partie intégrante du processus législatif. Les bureaux d’étude ont pignon sur rue. De même que les cabinets d’experts et autres lobbies. Un chiffre pour le dire: ce sont 130.000 cadres qui collaborent avec le Congrès américain. Au Parlement européen, chaque euro-député est assisté par au moins cinq cadres extérieurs.
Bab cite à ce titre Mohamed Zineddine, professeur de droit constitutionnel, pour qui «un élu, quel que soit son niveau d’instruction, ne peut pas cerner tous les volets juridiques, économiques et sociaux. Tous les parlements à travers le monde recourent à l'expertise externe pour enrichir le travail parlementaire, parfaire les lois et élever le débat».
Le problème est cependant ailleurs. Et tout est dans le comment. Si, pour Driss Skalli, député PJD et président de la section «cadres» du parti, «le recours des parlementaires aux compétences et aux cadres, jusqu'à un certain degré, ne dévalorise aucunement le travail parlementaire», tout est de savoir où mettre le curseur. D’autant que la machine est pipée. Version marocaine, les experts ne sont, bien souvent, autres que des proches.
Le recours à un cadre, en particulier au sein du parti, et pas à un autre, fait toute la différence, note Mohamed Zinedine. Et de constater qu’il y a mise à l'écart des (vrais) cadres, que ce soit à l’intérieur ou l’extérieur des partis, au profit de la règle des «copains d’abord». «Et c'est ce qui fait que le gouvernement ait une certaine hégémonie sur le parlement et que la qualité de l'action législative se dégrade», regrette-t-il.
Cité par la même parution, Mohamed Badir, membre du conseil national du parti Authenticité et Modernité (PAM) et conseiller économique auprès du parti, va plus loin. Servir de simple caisse de résonance pour un député est en dehors de toute logique, pour lui. Et d’ironiser en précisant que si le taux d’absentéisme est élevé dans nos débats parlementaires, c’est parce que nombre de députés n’arrivent tout bonnement pas à suivre. S’absenter relève ainsi de la décence.
«Certains de ces notables (élus, NDLR) ne comprennent rien de ce dont on parle au Parlement. On leur prépare des documents à lire et ils trouvent même une difficulté dans la prononciation des mots, d'où le choix de s’éclipser», déclare Badir.
Autre phénomène, relève-t-il: l’écrasement systématique que subissent les cadres qualifiés des partis politiques. Près de 90% des textes de loi, des questions parlementaires, orales ou écrites, et des amendements, ce sont les cadres des partis qui les préparent. Et ces même cadres finissent par constater que les notables exploitent leur effort intellectuel pour booster leur ascension politique, «alors que, eux, sont marginalisés», dénonce Badir.
Pas étonnant donc de voir ces cadres fuir nos formations politiques comme la peste. Et les experts et autres cabinets externes ne peuvent que se réjouir, puisque dès que les choses se compliquent dans l'hémicycle, y recourir devient un réflexe, somme toute, naturel.
Pour Bab, les solutions possibles sont simples: valoriser les cadres au sein des partis et faire que ce soient eux qui deviennent éligibles lors des scrutins législatifs pourrait être un début. Pour cela, il suffit d’un changement de paradigmes, et de priorités: servir ou se servir.