Dans cette interview accordée à Le360, l’universitaire marocain Mustapha Sehimi revient en long et en large sur le scandale à la fois sportif et politique provoqué par la junte algérienne contre les maillots de la Renaissance de Berkane (RSB) comportant la carte complète du Maroc, ainsi que l’abominable traitement réservé à ses joueurs et son staff à Alger. Pour lui, ce que les généraux algériens ont perpétré échappe complètement à la raison et relève, sans nul doute, de la psychiatrie.
Le360 : Comment analysez-vous, d’un point de vue politique, le scandale provoqué par l’Algérie autour des maillots de la RSB comportant la carte complète du Maroc? Certains responsables algériens, dont le président de l’USM Alger, sont allés jusqu’à dire que c’est une affaire de souveraineté nationale...
Mustapha Sehimi: C’est évidemment un scandale. Un scandale parce que les maillots de cette équipe marocaine avaient été agréés et utilisés précédemment lors de plusieurs rencontres et chaque pays choisit son maillot en fonction de logos, de signes et de symboles, etc. L’équipe de Berkane avait la carte du Maroc. Une carte internationale. Une carte qui ne dérange personne. Une carte qui ne porte atteinte ni aux principes de l’esprit sportif ni au cahier des charges de la CAF et de la FIFA.
Les conditions dans lesquelles l’équipe de Berkane et son staff ont été accueillies et traitées sont des atteintes majeures aux règles internationales pour ce qui est du transport, de l’accueil et du respect dû à des voyageurs venus disputer un match. Troisième observation: la polarisation faite par les autorités algériennes à propos de cette histoire du maillot est grave et relève d’une psychologie collective qui a besoin d’un traitement. Et je ne suis pas sûr que les sportifs algériens aient approuvé de tels actes parce qu’il doit prévaloir un esprit sportif et de compétition. Les généraux d’Alger n’ont pas trouvé d’autre moyen d’exprimer leur hostilité que s’en prendre à une équipe sportive qui joue dans un tournoi africain. Cela relève de la psychiatrie. Ces généraux algériens ont besoin d’une thérapie de groupes parce qu’on n’a jamais vu une affaire de ce type-là dans l’histoire du football. Sur ce point, il y a matière à interrogation sur la maturité, l’esprit de responsabilité et la perte des repères des généraux algériens.
Je crois que le peuple algérien, les peuples de la région et africains ont pu mesurer que ce pays est mal dirigé, dans une impasse, et avec un régime de généraux aux abois qui pense utiliser l’hostilité à l’endroit du Maroc comme un élément de rassemblement national, ce qui est faux. Les Algériens et le public sportif algérien ne sont pas idiots.
J’en tire cette conclusion: les généraux algériens ont perdu les boules et ne savent plus à quoi s’accrocher et c’est regrettable pour le sport africain et maghrébin. Et c’est la preuve supplémentaire que, décidément, il n’y a rien à faire pour l’heure avec ce régime des généraux qui est complètement dévoyé.
Le régime algérien continue toujours d’affirmer qu’il n’est pas partie prenante du conflit artificiel autour du Sahara marocain, mais apporte, de nouveau, à travers ce scandale, la preuve qu’il est un protagoniste principal et que le Polisario n’est qu’un petit proxy. Quel est votre commentaire à ce propos?
L’Algérie dit depuis longtemps qu’elle n’est pas partie prenante et qu’elle est simplement une partie intéressée du fait du voisinage et des problèmes de sécurité régionale que cela peut poser. Je rappelle qu’elle est bel et bien partie prenante. Elle est partie prenante militairement et il faut rappeler son implication opérationnelle militaire depuis plus d’un demi-siècle. Je vous donne l’exemple de l’implication de soldats de l’armée algérienne dans Amgala I et Amgala II en 1976 où les FAR ont fait prisonniers une centaine d’éléments armés de l’ANP algérienne qui ont été libérés un an après. Parmi ces prisonniers, il y avait à l’époque le lieutenant Saïd Chengriha, actuel chef d’état-major général et également Ahmed Gaïd Salah qui s’était enfui.
Toujours sur le plan militaire: qui arme les milices séparatistes à Tindouf et ailleurs? C’est l’Algérie qui a la gestion des camps militaires, de la formation, de l’approvisionnement, etc.
Sur le plan diplomatique, depuis plus d’un demi-siècle, l’Algérie ne se distingue que par la mobilisation de son appareil diplomatique dans toutes les instances régionales, continentales et internationales, en faveur du mouvement séparatiste et contre le Maroc. Ce n’est pas de l’implication ça? On le voit aussi avec toutes les manœuvres tentées à droite et à gauche pour que le Maroc soit dans une situation diplomatique difficile, ce qui n’est pas le cas! Le mouvement séparatiste a perdu une quarantaine de reconnaissances d’année en année, et aujourd’hui il n’y a plus qu’une petite vingtaine de pays dont l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Mozambique et d’autres pays satellites qui continuent à reconnaître la fantomatique «RASD».
L’Algérie est partie prenante puisque cela a été également consacré par les résolutions du Conseil de sécurité depuis 2018 en particulier. Et c’est tellement vrai que l’Algérie a participé aux tables rondes où il y avait quatre parties nommément désignées: Maroc, Algérie, Mauritanie et mouvement séparatiste. Il y a eu deux tables rondes où l’Algérie était présente: l’une en décembre 2018 et l’autre en mars 2019, organisées à Genève et dans la proche région. Et puis, il y a tout le reste. Le fait qu’elle autorise sur son territoire le campement et l’action de milices armées séparatistes, ce qui est une violation du droit international parce qu’il s’agit d’une délégation de souveraineté faite par un État en faveur d’un mouvement séparatiste visant le pays voisin.
Lire aussi : Affaire RS Berkane: quand un maillot fait trembler et humilie le régime des caporaux
Pour autant, la question nationale enregistre des avancées et une dynamique, et sur ce plan je crois que l’Algérie finira par être mise au ban de la communauté internationale du fait de son action. Et dernier point: l’Algérie, c’est la division. Début février, à l’occasion du sommet du gaz qui s’est tenu à Alger, le président Tebboune avait dit qu’il faut une nouvelle entité maghrébine avec la Tunisie, la Mauritanie et la Libye. Quelques jours après, la Libye n’a pas donné suite à cette proposition. De même, la Mauritanie a suivi en disant qu’elle ne comptait pas participer à cette nouvelle articulation régionale excluant le Maroc. C’est encore la preuve que l’Algérie n’a pas de diplomatie.
La Tunisie a pourtant accepté la proposition du président Tebboune d’une sorte d’UMA-bis...
Je vais dire cela en termes bruts: la Tunisie est pratiquement vassalisée par l’Algérie. Vassalisée pour des raisons financières. Tout le monde sait que le Trésor algérien a fait des avances de centaines de millions de dollars à la Banque centrale tunisienne pour lui permettre de fonctionner dans des conditions normales et d’avoir un bilan relativement présentable vis-à-vis des institutions internationales. Le deuxième point a trait à l’aspect sécuritaire: il y a une longue frontière entre l’Algérie et la Tunisie et de gros problèmes sécuritaires sont posés et, pour l’heure, la Tunisie n’est pas en mesure de sécuriser ses frontières. Le président tunisien actuel est dans une situation inconfortable. Il s’est distingué par sa position raciale et raciste à l’endroit des migrants subsahariens dans les conditions détestables que tout le monde a pu voir. En plus, il prône un discours qui n’est pas de coopération, mais d’une rigidité d’un autre temps, et n’a pratiquement aucun soutien à l’international, sinon un soutien mesuré et calculé du côté de l’Italie et un peu de l’Union européenne. Voilà la Tunisie de 2024 qui n’a pas d’autres options alors qu’elle avait auparavant, malgré tout, l’une des politiques internationales ouvertes, inventives, médiatrices et avec de la crédibilité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’isolement du président tunisien fait qu’il n’a pas d’autre soutien que celui du régime des généraux et tout cela ne peut pas aller bien loin évidemment.