Dans un environnement régional marqué par les secousses politiques et les transitions fragiles, le Royaume continue dese distinguer par une rare constance. Dans un entretien accordé au quotidien Assabah et publié dans son édition de ce lundi 20 octobre, Irina Tsukerman, avocate spécialisée en sécurité nationale et en droits humains, déclare que cette résilience n’est pas le fruit du hasard, mais «le résultat d’un équilibre soigneusement construit entre légitimité historique et modernisation administrative».
Selon l’analyste, le système politique marocain, ancré dans une monarchie pluriséculaire, a démontré une capacité remarquable à absorber les chocs sans tomber dans la paralysie. «Quand d’autres pays de la région ont sombré dans le chaos ou la répression à la suite du Printemps arabe, le Maroc a choisi une voie médiane», explique-t-elle.
Ce choix s’est traduit par des réformes constitutionnelles et politiques qui ont permis d’apaiser les tensions et de réaffirmer la légitimité de la Couronne. Pour Tsukerman, cette approche n’a rien d’un miracle. «C’était un rééquilibre calculé, où la monarchie a joué le rôle de garant de la continuité. La capacité d’adaptation du système marocain est le cœur même de sa solidité institutionnelle».
Elle souligne que le modèle marocain repose sur une double structure. D’un côté, la monarchie, dépositaire de l’autorité spirituelle et historique. De l’autre, les institutions exécutives, judiciaires et locales chargées de mettre en œuvre les politiques publiques. Cette articulation permet, selon elle, «une flexibilité rare dans la région: lorsque la tension monte, l’institution royale peut intervenir pour dépasser les clivages et rediriger le débat vers la réforme sans remettre en cause l’ossature de l’État».
Mais le Maroc, ajoute Tsukerman, est aujourd’hui confronté à une nouvelle génération de défis. «Les campagnes de désinformation, les financements transfrontaliers et la manipulation numérique ont créé un environnement où des revendications sociales locales peuvent être amplifiées en instruments de déstabilisation mondiale», avertit-elle.
Sur le plan interne, l’analyste note que le Royaume a su tirer les leçons que d’autres n’ont pas retenues. «Alors que la Tunisie a expérimenté une démocratie sans base économique solide et que l’Égypte a retrouvé la stabilité au prix de la participation citoyenne, le Maroc a choisi la voie de la réforme dans la stabilité», a-t-elle déclaré, ajoutant que ce choix, qu’elle qualifie de «voie médiane pragmatique» a porté ses fruits, mais montre aujourd’hui ses limites face aux pressions sociales et générationnelles.
«Le rythme lent des réformes ne correspond plus à la rapidité des attentes d’une jeunesse plus connectée, plus éduquée et moins encline à accepter les formes traditionnelles d’autorité», observe Tsukerman, qui avertit que cette dissonance crée «une tension institutionnel que l’unanimisme traditionnel ne suffit plus à contenir». Malgré tout, elle estime que le Maroc demeure «l’un des pays les plus cohérents et coordonnés du Maghreb».
La qualité de la coopération entre les appareils sécuritaires, l’élargissement progressif du contrôle civil et l’amélioration du système judiciaire témoignent, selon elle, «d’une maturité institutionnelle rare». Cependant, le véritable test réside désormais dans la capacité de ces institutions à affronter les ingérences étrangères. «Contrairement à l’époque du Printemps arabe, la subversion ne passe plus par la rue ou les chaînes de télévision, mais par les réseaux numériques. Les ennemis du Maroc n’ont plus besoin de financer des milices: il leur suffit de pirater les esprits», affirme Tsukerman.
Dans ce contexte, le Royaume, fort de son ouverture économique et de ses partenariats internationaux, devient une cible privilégiée pour ceux qui cherchent à saper sa réputation ou semer le doute sur sa stabilité. Tqukerman rappelle que les grands projets structurants (le port Tanger Med, le complexe solaire de Ouarzazate, ou encore les industries automobile et aéronautique) sont autant de symboles de modernité que de révélateurs d’inégalités territoriales. «Ces disparités entre le littoral et l’intérieur sont exploitées par des acteurs extérieurs qui alimentent la frustration à travers la propagande numérique. Le défi pour l’État est de transformer cette infrastructure physique en inclusion sociale avant que le mécontentement ne se mue en perte de confiance», souligne-t-elle.
La clé de la stabilité marocaine demeure, selon Tsukerman, dans la crédibilité de l’institution royale. «Les interventions du Roi Mohammed VI, que ce soit en cas de manifestations ou de catastrophes naturelles, ont toujours recentré la monarchie comme pilier moral et point d’équilibre national».
Mais l’experte émet cette mise en garde: «ce qui rend la période actuelle plus périlleuse que celle du Printemps arabe, ce n’est pas la fragilité interne, mais la sophistication des réseaux d’ingérence. Les mercenaires numériques et les agents idéologiques peuvent aujourd’hui allumer et contrôler les colères sociales avec une précision inédite».
Pour elle, la résilience du Royaume dépendra désormais de sa capacité à «combiner défense cybernétique et confiance sociale», c’est-à-dire à répondre aux attaques extérieures tout en écoutant les revendications internes qu’elles exploitent. «La force du Maroc réside toujours dans l’intelligence de ses institutions, la sagesse de son roi et la cohésion de son peuple», affirme Irina Tsukerman. «Mais la tempête qui s’annonce au-delà de ses frontières impose une réactivité nouvelle et un dialogue national renouvelé autour de la justice, de la dignité et de l’appartenance, avant que d’autres ne prétendent parler au nom des Marocains», ajoute-t-elle.








