Les bases de la confédération patronale ont dû crier bien fort et avec insistance pour que le très discret et conciliant président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) se sente obligé de répercuter publiquement leurs multiples craintes. Deux grands sujets d’inquiétude occupent les devants: les nouvelles dispositions fiscales contenues dans la loi de finances 2024 qui ont ignoré en grande partie les propositions exprimées par les chefs d’entreprises et la sortie de la loi régissant le droit de grève. Que l’on nous permette de nous focaliser sur cette dernière.
Inutile d’être doté d’un fin esprit d’analyse pour subodorer l’arrivée dans les prochaines semaines et les prochains mois de fortes perturbations sur le front social. Tous les ingrédients sont là: une inflation qui rogne continuellement le pouvoir d’achat des classes les plus défavorisées, un taux de chômage haut et persistant, un effacement des efforts fournis dans la lutte contre la pauvreté et, cerise sur le gâteau, l’«étonnante» augmentation/largesse accordée par le gouvernement aux enseignants grévistes. De quoi convaincre les plus passifs de donner de la voix.
Au préalable, deux précisions: d’abord, votre serviteur n’est pas contre le juste partage des fruits de la croissance entre travail et capital, à condition que le partage soit empreint de réalisme et ne porte pas un coup sévère, voire fatal, à la compétitivité interne et externe de nos entreprises, surtout les PME; ensuite les efforts déployés par le gouvernement pour juguler l’inflation et rétablir la croissance, bien que réels, nécessitent des délais trop longs pour donner des résultats et dissuader toute potentielle contestation à court terme.
Alors, que faire pour éviter une éventuelle multiplication de grèves aux revendications irréalistes, qui ne manqueront pas d’irradier dans le secteur privé après avoir été lancées dans le secteur public? Gageons que «si les enseignants ont obtenu satisfaction, pourquoi pas d’autres catégories?» sera le leitmotiv des prochains mois dans beaucoup de milieux qui n’ont pas le souci de la pérennité de l’entreprise. Confortés par l’anémie des syndicats «représentatifs» qui ne pèsent plus lourd en termes d’encadrement et d’effectifs (moins de 4% des salariés). Rappelons que ces derniers mois, il y a résurgence d’une forme de syndicalisme plus radical, car plus politisé, dominé par les islamistes radicaux et l’extrême gauche, qui se présente sous forme de «coordinations».
Le droit de grève demeurant garanti par la Constitution et personne n’envisageant de le remettre en question, il ne faut pas toutefois qu’il se transforme en frein à l’investissement local et étranger créateur d’emplois et de croissance. Le Maroc est appelé à recevoir des investissements importants étrangers et à réaliser d’autres avec le capital national, il doit le faire en respectant le droit social et en évitant tout rappel à l’ordre d’organismes internationaux (OIT). D’autant qu’il y a un autre facteur qui s’est invité dans l’espace public: l’organisation de la Coupe du monde et tout ce qu’elle charrie en attentions démultipliées en termes de respect de la législation sociale des pays hôtes.
Aussi, la solution la plus proche des réalités réside dans l’activation du texte sur le droit de grève tel que demandé depuis longtemps, il faut le reconnaître et le mettre à son actif, par la CGEM. C’est le seul moyen de préserver le secteur privé des aléas d’une situation sociale qu’on peut qualifier de tendue. L’agacement manifesté au Parlement par le chef du gouvernement face à cette demande n’est pas compréhensible; elle va dans le bon sens pour préserver la quiétude nécessaire à l’investissement privé.
Politiquement, économiquement et socialement, un texte équilibré sur le droit de grève ne devrait pas poser de problèmes, bien au contraire. Le gouvernement dispose d’une majorité très large pour passer le texte rapidement. De surcroît, cette majorité (RNI, PAM et PI) est réceptive aux contraintes de l’investissement et de la préservation des emplois. Économiquement, cela devrait encourager l’emploi et tempérer les ardeurs d’éléments jusqu’au-boutistes qui semblent «ignorer» que le SMIG actuel, aussi modeste soit-il, dépasse déjà celui de certains pays d’Europe de l’Est et que la protection sociale va amener un complément indirect de revenus. Socialement, un texte sur le droit de grève n’est pas exclusif de négociations sectorielles, de conventions collectives, de SMIG(s) régionaux et de prospérité sociale. Certes, personne n’ignore que les syndicats «représentatifs» ont exprimé leurs réserves et leurs craintes de perdre leurs avantages dans le nouveau texte et que le gouvernement, dans un souci «de préserver les équilibres sociaux» ne souhaite pas les affaiblir davantage. Toutefois, soyons francs, ces syndicats, qu’ont-ils fait pour garder leur représentativité depuis des années?
L’énorme gâchis (humain et financier) provoqué par la grève des enseignants devrait inciter le gouvernement à être plus vigilant, voire proactif, dans le domaine social et, pourquoi pas, en faire une règle dans tous les domaines.
Au vu de ces éléments, la demande de la CGEM d’activer un texte sur le droit de grève ne peut qu’emporter l’adhésion de tout citoyen soucieux de sauvegarder et d’améliorer la compétitivité de nos entreprises et baliser le terrain à d’autres investissements créateurs d’emplois.