Le 2 octobre, Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), était l’invité du journal télévisé du dimanche sur CNEWS. L’annonce en avait été faite tout au long de la semaine précédente.
Mais le jour J, à deux minutes de son entrée sur le plateau, et alors qu’il est déjà passé par l’étape maquillage et patiente dans la salle d’attente, le chanteur kabyle se voit annoncer par le journaliste censé l’interviewer, Ivan Roufiol, la déprogrammation in extremis de son interview.
Ivan Roufiol se confond en excuses, dit ne pas comprendre et adhère à l’explication qu’avance Ferhat Mehenni, à savoir une pression exercée par Alger sur l’Elysée, qui, à son tour, aurait demandé au patron du groupe Bolloré, actionnaire de référence de CNEWS, de ne pas diffuser l’interview de celui qui est considéré comme la bête noire de la junte au pouvoir en Algérie.
Cette information qui met à mal la liberté d’expression en France a été vérifiée et diffusée par de nombreux médias dont certains ont confirmé, de sources informées, la demande de l’Elysée à la chaîne privée française. Et depuis sa diffusion le 3 octobre, l’information a fait le tour des médias du monde entier et écume les réseaux sociaux.
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Mais par un étrange hasard, c’est ici, au Maroc, sur les réseaux sociaux du pays, que les autorités françaises ont décidé de réagir à cette information en publiant un démenti via leur ambassade, sur Twitter.
C’est donc ce 5 octobre au soir que l’ambassade de France au Maroc déclare avoir «pris connaissance de déclarations à la presse et de commentaires dans la presse laissant entendre que les autorités françaises seraient intervenues auprès d’une chaîne de télévision française pour qu’elle ne laisse pas s’exprimer l’un des invités d’une émission d’information».
Dans ce communiqué, pour le moins qu’on puisse dire intempestif, l’ambassade «dément formellement ces allégations», et affirme que «la France demeure engagée en faveur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression partout dans le monde».
Ainsi donc, si l’on devait croire ce démenti, il faudrait se persuader que c’est à la dernière minute, alors que la séance de maquillage de l’invité principal d’un journal télévisé venait de s’achever, que le patron de CNEWS aurait eu une subite illumination, une impérieuse révélation, le sommant d’éloigner des écrans de sa chaîne, un chanteur et poète pacifique portant le nom de Ferhat Mehenni. A d’autres…
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Visiblement bien embarrassée par cette affaire, l’ambassade se réfugie dans des considérations générales et sert à qui veut l’entendre l’antienne du «pluralisme des médias, le droit d’informer ou d’être informé et la capacité à exprimer des points de vue critiques (qui) sont essentiels au débat démocratique. La défense de ces principes, qu’elle s’applique à elle-même, est également une priorité de sa politique étrangère».
A défaut de convaincre, ce démenti a de quoi laisser perplexes les Marocains. Et pour cause, nous sommes en droit de nous poser cette question: mais que vient faire le Maroc dans cette galère? Nous sommes en présence d’une chaîne française, dont le siège se trouve à Paris, l’invité est Kabyle, le journaliste Français, la censure française, ses ordonnateurs sont tapis à l’Elysée et ses commanditaires, accros à la cigarette, sont probablement en train de fumer à Alger.
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Quelle mouche a donc piqué l’ambassade de France au Maroc pour nous gratifier –nous Marocains– d’un démenti qui ne nous concerne pas?
Le communiqué de l’ambassade de France à Rabat est totalement déplacé car cette mission diplomatique interagit avec un public marocain qui n’est absolument pas concerné par un incident survenu en France, sur une chaîne de télévision française, concernant un Kabyle.
Quant à cette rengaine que ressasse le démenti de l’ambassade «la France demeure engagée en faveur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, etc.», elle rappelle le titre d’une chanson de Dalida avec Alain Delon: Paroles, paroles…