Alors qu’on s’attendait à la nomination d’un nouveau directeur du renseignement militaire, au moment où le général Sid Ali ould Zmirli venait d’être «démissionné» de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), c’est à une surprise de taille que l’on a eu droit. L’actuel chef de la Direction de la lutte anti-subversion, le général Djebbar M’henna, a été désigné à la tête de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure, qu’il cumulera avec son précédent poste.
Ce qui surprend d’abord dans ce nouveau chassé-croisé des nominations-renvois de généraux, c’est l’instabilité chronique qu’ont connue les renseignements extérieurs algériens depuis l’arrivée au pouvoir du duo Abdelmadjid Tebboune, chef de l’Etat, et le général Said Chengriha, chef d’état-major de l’armée. En moins de trois ans, la DDSE a connu 6 patrons successifs, dont quatre se sont succédé en l’espace des quatre derniers mois.
Lors de son parachutage à la présidence algérienne en décembre 2019, Tebboune avait trouvé le colonel Remili Kamel-Eddine à la tête de la DDSE, où il a été nommé en avril 2019. Le 16 avril 2020, il est remplacé par le général Mohamed Bouzit, alias Youcef, démis de ses fonctions neuf mois plus tard, en janvier 2021, avant d’être emprisonné le 7 septembre de la même année. Son poste revient à un général, à la retraite depuis 6 ans, Noureddine Mekri (72 ans), alias «Mahfoud polisario».
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Le 14 mai 2022, un autre général à la retraite, Djamel Kehal Medjdoub est promu nouveau chef de la DDSE, en remplacement de «Mahfoud», rongé, dit-on, par la maladie. Le 20 juillet 2022, Abdelghani Rachedi quitte la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qu’il dirige depuis avril 2020, suite à l’arrestation du général Wassini Bouazza, et prend les commandes de la DDSE, en permutant ainsi avec Kehal, qui n’aura passé que 67 jours à la tête des renseignements extérieurs. Mais Rachedi, hospitalisé d’urgence à Paris en août dernier, n’aura lui aussi accompli que 45 jours à la tête de ladite DDSE.
Si surprenante qu’elle puisse être, la nomination de Djebbar M’henna à la tête de la DDSE n’est pas si illogique que cela. Ce général de 73 ans est un pur produit de l’ancien Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Il est à ce titre l’un des hommes de main du puissant général à la retraite, Mohamed Médiène dit Toufik, qu’il a servi durant la décennie noire des années 90. Djebbar M’henna était surtout connu pour être derrière la mise sur pied des deux «faux ennemis» qui ont ensanglanté l’Algérie. Il a ainsi créé et armé aussi bien les hommes des «maquis» islamistes que ceux des «groupes de légitime défense» qui les combattaient. En 1995, il sera nommé par «Toufik» à la tête de la Direction centrale de la sécurité de l’armée, en vue de garder la main sur le commandement militaire. Poste où il restera jusqu’en 2013.
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Tombé en disgrâce suite à la chute de Toufik, emprisonné par l’ex-chef d’état-major, le général Gaid Salah, Djebbar M’henna passera à son tour par la case prison jusqu’en juillet 2020. Avec le retour en force du clan Toufik-Khaled Nezzar, Djebbar M’henna reprend à nouveau du service. C’est quasiment en catimini qu’on lui crée une nouvelle direction, celle de la lutte anti-subversion, qui vise à contrer les activistes du Hirak et autres opposants au régime de la «nouvelle Algérie». Il se chuchote d’ailleurs en Algérie que c’est ce fils de la Kabylie qui a terrorisé le Hirak en déclenchant sciemment, durant l’été 2021, les feux de forêts meurtriers, marqués aussi par l’assassinat-trouble de Djamel Bensmail, un jeune activiste du Hirak.
Depuis lors, Djebbar M’henna a commencé à apparaitre dans les réunions du Haut conseil de sécurité algérien, avant de s’afficher le 26 août dernier au mini-conclave sécuritaire qui a réuni, à Alger, Emmanuel Macron avec Abdelmadjid Tebboune, flanqué du chef d’état-major de l’armée et trois autres généraux dirigeant différents services de renseignement (DDSE, DGSI, Anti-subversion). Le président français s’est ainsi retrouvé face au «système politico-militaire», en chair et en os, des gérontes qu’il avait décriés quelques mois plus tôt.
C’est ce vieux système politico-militaire algérien qui semble aujourd’hui traversé par de fortes turbulences internes et externes que reflète l’instabilité de ses services de renseignement. La nomination de Djebbar M’henna à la tête de la DDSE intervient au moment même où une autre direction des renseignements algériens connait des remous sans précédent. Le général Sid Ali Ould Zmirli, patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), vient ainsi de passer plusieurs heures d’interrogatoires au Centre principal des opérations (CPO), relevant de la DGSI et antichambre de la prison militaire de Blida. Il était appelé à s’expliquer sur les fuites d’informations ultraconfidentielles concernant les services secrets algériens. Ces fuites seraient le fait d’un réseau dirigé par son frère, le colonel à la retraite, Omar Ould Zmirli, et composé de 9 autres officiers.
Parmi les méfaits attribués à ce «réseau de comploteurs», la divulgation d’informations «sensibles portant atteinte à la sécurité de l’Etat», comme le fait de livrer l’identité complète de la prétendue «sommité informatique» qui gérait les «mouches», ou «serveur» des renseignements algériens. Il s’agit, entre autres, de la divulgation du nom de l’ingénieur-commandant, Salaheddine Gharbi, un informaticien qui a d’abord travaillé sous les ordres de Wassini Bouazza, avant d’être maintenu et adoubé par le général Abdelghani Rachedi à la DGSI, où Kehal l’a également conservé.
Tout porte à croire que la prison attend à la fois Sid’Ali Ould Zmirli et Abdelghani Rachedi. A ce rythme, les généraux algériens seront bientôt soit des prisonniers, soit des ex-taulards. Leurs interminables luttes et règlements de compte taillent en pièces l’armée algérienne.