La Suisse ne compte pas faire marche arrière. Elle tient à sa décision de juger Khaled Nezzar, le tristement célèbre ancien ministre de la défense et l’un des artisans de la décennie noire en Algérie. Le pouvoir en place fulmine et menace de lourdes représailles. «La virulence de la réaction est à la mesure du choc ressenti par Alger», écrit le quotidien français Le Monde dans un article mis en ligne ce vendredi 8 septembre.
Au terme d’une procédure qui a duré douze années, rappelle le quotidien, les autorités judiciaires helvétiques ont annoncé, le 28 août dernier, la mise en accusation et le renvoi devant un tribunal fédéral du général algérien, déjà condamné par la propre justice de son pays, mais sans jamais que le jugement soit exécuté.
Cette fois, le général est poursuivi par la justice helvétique de «crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que de crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994». Partant du principe de compétence universelle, le droit suisse autorise, en effet, «la poursuite de certaines infractions graves au droit international, notamment les violations des conventions de Genève», précise le quotidien.
Crimes de guerre, persécution généralisée et systématique des civils accusés de sympathiser avec les opposants, mise en place de structures avec pour but d’exterminer l’opposition, il faut dire que le général sanguinaire n’y est pas allé de main morte. Et encore, l’ancien homme fort du régime n’est poursuivi, aujourd’hui, que pour les faits qui se sont déroulés durant les premières années de la guerre civile qui a ensanglanté le pays dans les années 1990. C’est-à-dire le début de la décennie noire qui a emporté, il faut le rappeler, pas moins de 250.000 civils innocents, bien que le quotidien n’évoque que 100.000 assassinats. Ce qui reste énorme.
Concrètement, précise Le Monde, le ministère public de la confédération suisse évoque onze faits reprochés à Khaled Nezzar. Pour cela, il a recueilli les témoignages d’au moins 24 personnes dont des militants du Front islamique du salut (FIS) et des membres des forces de sécurité qui ont quitté les rangs de l’armée. D’après le Parquet helvétique, cité par la quotidien, «les victimes présumées ont subi des tortures, avec de l’eau ou des électrochocs, et d’autres traitements cruels, inhumains ou humiliants, ainsi que des violations de leur intégrité physique et psychique».
Il lui est également reproché d’avoir ordonné «des détentions et des condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires». L’accusation indique que Nezzar «a sciemment et délibérément approuvé ces exactions, qu’il les a coordonnées ou ordonnées», relève le ministère public.
Khaled Nezzar, rappelle le quotidien, avait été interpellé à Genève, déjà une première fois en 2011, à la suite d’une plainte déposée par une ONG internationale pour le compte de deux de ses victimes. Interrogé, il avait été relâché à la condition de rester à la disposition de la justice. Puis, plus rien. L’affaire a été classée en 2017. Mais voilà que ce dossier a été rouvert à un moment où l’Algérie est mondialement isolée et où un procès du genre risque d’être fatal pour le régime au pouvoir.
C’est, en effet, la première fois, note le quotidien, qu’un haut responsable algérien est poursuivi par une justice étrangère. La réaction à l’annonce de la réouverture du procès ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Le 31 août, pris de panique et de maladresse, les généraux au pouvoir ont menacé la Suisse, par la voix de leur ministre des Affaires étrangères, de lourdes conséquences sur les relations entre les deux pays.