Alger-Paris et le syndrome de Peter Pan

Mouna Hachim.

ChroniqueTout y est, excepté la joie, la vitalité et la féerie d’un cartoon!

Le 10/08/2024 à 10h55

Nous connaissons tous Peter Pan, célèbre personnage de fiction, imaginé par l’écrivain écossais James Matthew Barrie au tout début du XXe siècle, décrit à l’origine comme un être sombre et ambigu, malveillant et vindicatif, loin de l’image de joyeux luron dessiné par les studios de Walt Disney.

Dans tous les cas de figure et à tous les niveaux de lectures et d’interprétations, «Le petit garçon qui ne voulait pas grandir» se complaît dans un monde imaginaire dans lequel il voudrait rester enfant pour toujours; le passage au stade adulte imposant de devenir responsable de ses actes, d’affronter le monde réel, de se tourner vers l’avenir…

Par analogie, en politique, le syndrome de Peter Pan, développé par le psychologue américain Dan Kiley à partir du mythe du personnage éponyme, est illustré d’une certaine manière par le régime algérien et par ses sbires.

Tout y est, excepté la joie, la vitalité et la féerie d’un cartoon: réactions impulsives, peine à nouer des relations stables et durables, manque de vision à long terme, déni des réalités, blocage dans une ère révolue, enfermement dans un monde chimérique mué en lieu de réclusion et de naufrage, nommé Rasd dans leurs fantasmes, Neverland chez Peter Pan, soit le Pays de Jamais, de Nulle Part.

En clair: le pays impossible!

Comme preuve de comportement émotionnellement immature de la part d’un Etat qui a toujours claironné ne pas être partie prenante dans le conflit du Sahara: le communiqué fiévreux émanant de son ministère des Affaires étrangères bien avant l’annonce officielle par Paris du soutien au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine; suivi, aussitôt après l’annonce, du retrait avec fracas de son ambassadeur, ramenant le nombre des rappels depuis la France à quatre en l’espace de quatre ans.

Il est d’ailleurs significatif de noter que Paris ne commente en aucune manière ces allers-retours aux allures de caprices boudeurs, au risque de s’engager dans une spirale toxique, laissant le temps faire son œuvre et les ambassadeurs regagner plus tard leur bercail, avec moins de bruit qu’au moment de leur rappel.

Tout à leurs réactions puériles démontrant une réactivité émotionnelle borderline et un refus des réalités -lesquelles dépassent le cadre strict de la France pour s’inscrire dans une dynamique plus large englobant plusieurs Etats positionnés en faveur de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental- nous avons pu voir de-ci, de-là, tirer des plans sur la comète.

Le quotidien le plus vendu en Algérie, Echorouk El Yawmi, titre à la une en langue arabe: «Voici les cartes de l’Algérie pour discipliner Macron».

L’argumentaire du tabloïd, basé sur une source diplomatique anonyme, évoque entre autres cartes, et alors que l’économie algérienne dépend exclusivement de l’exportation des hydrocarbures et que le gaz algérien ne représente que 8% en valeur de la consommation française, l’arrêt de la pratique du tarif préférentiel.

Vient évidemment, pour reproduire les mêmes schémas affectifs et relationnels, la sempiternelle arme migratoire.

Dans sa livraison du 7 août, l’hebdomadaire français, Le Canard Enchaîné, affirme qu’«Alger renvoie systématiquement vers la France ses ressortissants expulsés de l’Hexagone. Des dizaines de clandestins algériens font de ‘simples allers-retours’, constate un haut-fonctionnaire».

Or, grandir, c’est mesurer les conséquences de ses actes, se défaire des traits narcissiques et autres troubles de l’égo qui renvoient une perception erronée de soi-même et de sa véritable place dans l’échiquier global.

Face aux menaces de l’Algérie et au chantage migratoire, des personnalités françaises n’ont pas tardé à appeler leur gouvernement à un plan de riposte comprenant la dénonciation de l’accord bilatéral de 1968 qui confère un statut particulier aux Algériens, la réduction des visas et de l’aide publique française, ainsi que l’arrêt des transferts d’argent vers l’Algérie.

Mais c’est surtout dans le registre mémoriel qu’est mis le paquet par les adeptes des sanctions contre la France.

Cette temporalité éclatée et cette relation désespérée au temps peut trouver son explication, comme chez Peter Pan, dans un traumatisme vécu dans l’enfance.

Mais cette victimisation outrancière est aussi un moyen de se maintenir dans une posture de dépendance, de se défaire de toute responsabilité dans les actuels manquements et dans les incapacités à avancer, des décennies après l’Indépendance, malgré les immenses richesses.

Pourquoi avancer quand on peut faire un bond en arrière? Telle semble être la logique du programme.

Le journal algérien appelle en ce sens à l’activation d’une loi sur la criminalisation de la colonisation française en Algérie, voulue comme une feuille de route pour les autres Etats africains anciennement colonisés par la France dans un contexte, précise-t-on, de recrudescence de sentiments anti-français, en demandant, en outre, l’indemnisation pour les essais nucléaires dans le Sud et en menaçant de porter l’affaire devant les Nations-Unies pour révéler à la communauté internationale «la laideur» de la France.

Le quotidien algérien omet toutefois de préciser que le lieu où les Français avaient testé leurs premières bombes atomiques, en 1960, est Reggane, à l’est des oasis du Touat dans le Sahara Oriental, toute une région historiquement marocaine, annexée durant la colonisation française au département d’Algérie.

Feu Mohammed V avait d’ailleurs, à plusieurs reprises, protesté fermement contre ces essais nucléaires, en saisissant l’ONU ou en dénonçant, lors de la Conférence africaine de Casablanca, ce qui a été qualifié de «nouveau défi et de provocation aux peuples africains, à l’humanité et à la conscience universelle».

Sans oublier la lettre de protestation adressée au général Charles De Gaulle condamnant l’impact de ces essais en tant que «grave danger pour l’humanité tout entière», «d’autant plus qu’ils se déroulent dans des régions habitées» et sur un territoire «que nous considérons comme partie intégrante de Notre Royaume».

En substance, «Être toujours en retard d’une guerre, pour reprendre les mots de l’écrivain Robert Sabatier, devrait nous déterminer à être parfois en avance d’une paix».

Soit on tourne la douloureuse page de la colonisation, soit, en toute logique, on l’ouvre pleinement avec ses archives, ses cartes, ses territoires arrachés à des Etats voisins pour être incorporés à l’Algérie française.

Il est parfois compréhensible de râler, certes; mais il ne faut pas oublier non plus de dire: Merci!

Par Mouna Hachim
Le 10/08/2024 à 10h55