L’inauguration de la chaire de géopolitique des cultures et des religions de l’Académie du Royaume du Maroc a eu lieu le vendredi 24 janvier, à Rabat, devant un parterre de personnalités, d’académiciens et d’universitaires. Pour Abdeljalil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie, c’est là un cadre intellectuel de débats et de rencontres, une plateforme devant nourrir et stimuler une pensée critique. Il a relevé qu’il convenait d’appréhender les structures symboliques qui encadrent la société et l’identité, et plus encore, s’intéresser aux trajectoires qui marquent l’identité et l’appartenance culturelle et religieuse des sociétés. L’on a affaire en effet à une problématique complexe, celle de «l’hybridité culturelle et des identités multiples», à celle du multiculturalisme, et enfin à celle des défis rencontrés par les cultures et les religions dans le monde contemporain, à savoir l′environnement, l’intelligence artificielle, la justice sociale et le développement.
Autant de questions qui appellent une approche multidimensionnelle. Il y a des récits culturels et religieux qui nourrissent et accompagnent bien des perceptions de l’identité et de l′appartenance. Il convient de voir comment ils contribuent à peser et à modeler même la vision que l’on peut avoir du temps, de l’espace et plus globalement d’un monde confronté à un profond bouleversement.
Titulaire de cette chaire, l’anthropologue Faouzi Skalli a fait une communication dense, documentée et pleine de questionnements sur ces multiples aspects. Et de rappeler, pour commencer, que dans le registre de la dimension du dialogue et de la paix, il vaut de noter que c’est précisément «la voie choisie par le Maroc». Référence est faite ainsi au Préambule de la Constitution de juillet 2011: «attachement aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue», «compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde».
C’est d’ailleurs là l’émanation d’«une profondeur de champ historique et civilisationnelle». L’on peut en trouver des illustrations récentes, tel le message conjoint de SM Mohammed VI, Commandeur des croyants, et de Sa Sainteté le Pape François, signé le 30 mars 2019 à Rabat, portant sur «L’appel d’al Qods» -un plaidoyer historique pour la préservation de l’intégrité et de l’identité de la ville sainte comme symbole de coexistence pacifique entre les trois religions. L’on peut encore citer l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU, le 25 juillet de cette même année, de la résolution présentée par le Maroc: «Pour la promotion du dialogue interreligieux et interculturel et la lutte contre les discours de haine».
«La chaire a une ambition: contribuer à l’apport de connaissances et d’éléments de compréhension, et montrer “la présence d’idéologies radicales” dans chacune des religions.»
Le monde d’aujourd’hui est celui du désordre, de l’altérité, de la conflictualité dans diverses latitudes, où l’hostilité prévaut. Des guerres identitaires sont pratiquement l’un des marqueurs de ces spasmes et de ces convulsions. La méthodologie géopolitique s’impose à l’évidence. Elle est utile, opératoire: d’un côté, elle est «descriptive» en ce qu’elle aide à mieux établir l’état des lieux et partant les foyers de tension avec leurs enjeux; de l’autre, elle est «prescriptive», en ce sens qu’elle se préoccupe d’initier des «processus culturels et institutionnels qui autorisent l’émergence d’un espace commun, d’une agora publique». Cette chaire se propose de tirer les enseignements et l’héritage des sources tant occidentales qu’orientales. La civilisation musulmane y a évidemment sa part (Ibn Khaldoun, Mohamed Iqbal...).
Le concept de géopolitique des cultures et des religions englobe-t-il in fine les civilisations? L’Américain Samuel Huntington, dans son livre «Le choc des civilisations» (1996), considère qu’il faut y intégrer des éléments objectifs (langue, histoire, religion, coutumes, institutions), mais aussi subjectifs, tel celui de l’auto-identification. Pour Amartya Sen, économiste et philosophe indien, cette conception monolithique est par trop réductrice: elle minore «la complexité des échanges et interactions entre religions, cultures et sociétés».
S’agissant de la civilisation musulmane, les courants théologico-politiques ont vu une histoire marquée par des relations apaisées ou tumultueuses (sunnisme, chiisme, kharijisme, wahhabisme, néosalafisme...). D’autres civilisations, en Inde ou en Chine, n’ont pas échappé à de tels processus sur le long terme. En tout cas, le monde de ce XXIème siècle accuse fortement une dérégulation de la mondialisation. De quoi offrir un incubateur à des «dynamiques de rejet ou de replis culturels» s’apparentant à un «choc des intégrismes». L’idée d’une convergence des valeurs à l’échelle du monde a fait long feu. Émergent ainsi plusieurs pôles culturels et économiques redéfinissant et réarticulant les équilibres géopolitiques sur la base de leurs spécificités et des propositions de modèles alternatifs de développement.
La chaire a une ambition: contribuer à l’apport de connaissances et d’éléments de compréhension, montrer également dans chacune des religions «la présence d’idéologies radicales». Fouzi Skalli élargit, pour conclure le débat en évoquant des défis actuels: le développement de l’IA, une technologie en mesure pratiquement de décider par elle-même, et le risque de basculement par suite d’une autonomie et d’une singularité échappant à la prévisibilité et au contrôle. Il appelle de ses vœux «une alliance et une coopération de toutes les singularités et sagesses du monde». Un nouvel humanisme où la technologie serait un instrument, mais pas un référentiel des valeurs civilisationnelles.
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