Il y a tout juste deux mois, soit le vendredi 30 décembre 2022, le quotidien français Le Figaro publiait une interview dans laquelle le président algérien Abdelmadjid Tebboune déclare qu’entre lui et le président français, Emmanuel Macron, une solide «amitié réciproque et personnelle» s’est instaurée. Ce qui a permis, par ricochet, l’établissement d’une «relation de confiance», selon lui, entre l’Algérie et la France. Il a même ajouté qu’une «nouvelle ère» a été ouverte avec la visite de Macron en août dernier à Alger, et celle prévue, mais désormais compromise, de Tebboune à Paris cette année.
Le vendredi 24 février 2023, lors de son entrevue avec deux journalistes algériens bien complaisants, c’est un tout autre ton que le président algérien a tenu à l’égard de la France, dont il n’a pas cité une seule fois le nom. Ainsi, selon Tebboune, «certaines parties souhaitant attenter à l’Algérie s’efforcent de le faire de l’intérieur, en exploitant quelques citoyens algériens qui ont vendu leur patrie et prêté serment de fidélité à des ambassades étrangères».
Le président algérien fait bien évidemment ici référence à la récente affaire d’Amira Bouraoui, la militante franco-algérienne qui a fui l’Algérie au début de ce mois de février grâce à un coup de main décisif des services consulaires de l’ambassade de France à Tunis, d’où elle a embarqué pour la France.
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Il s’agit aussi des journalistes emprisonnés récemment en Algérie comme Ihsane El Kadi et Mustapha Bendjama, tous taxés par Tebboune de «khabarjias» (espions).
Le mot Khabarjia a été d’ailleurs plusieurs fois cité par Tebboune. Ce qui laisse présager que la chasse aux sorcières en direction des journalistes est loin d’être finie. Aucun des deux journalistes qui l’ont interviewé pendant une heure et demie ne lui a posé la moindre question, ni sur la crise franco-algérienne et en particulier le nouveau rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, ni sur l’affaire Amira Bouraoui qui l’a déclenchée.
C’est plutôt à partir d’une question, apparemment arrangée en coulisses, sur la prétendue «idylle» entre l’Algérie et l’Italie que Tebboune s’est attaqué à la France, accusée de «viser l’Algérie dans tous les domaines… à chaque cycle de 15 ans», contrairement à Rome.
La seule fois où il fait directement allusion à la France, c’est quand il a cité nommément l’ancien président français (de 1981 à 1995), le socialiste François Mitterrand, accusé d’avoir imposé un embargo européen à l’Algérie durant la décennie noire des années 1990.
À cette période, seule l’Italie, a dit Tebboune, aurait «prêté 15 milliards de dollars à l’Algérie», et «Alitalia était le seule compagnie aérienne à desservir Alger». Tebboune aurait ici oublié que le monde entier se rappelle toujours de la prise en otages à Alger des 220 passagers du vol 8969 d’Air France reliant Alger à Paris, par un prétendu commando terroriste du GIA (Groupe islamique armé), le 24 décembre 1994.
C’est cet épisode ayant fait sept morts (3 passagers et les 4 terroristes), ainsi que les forts soupçons de liens entre GIA et généraux algériens, qui a entraîné l’arrêt immédiat des vols d’Air France vers l’Algérie, et non un quelconque embargo décrété par Mitterrand.
Pour fustiger la France, Tebboune n’a même pas hésité à tomber dans le piège d’un autre mensonge plus flagrant. «Vous vous rappelez de ce président européen qui avait dit ‘on termine avec la Syrie et on passe à l’Algérie’», a-t-il lâché à l’adresse des journalistes.
Est-ce Nicolas Sarkozy, alors locataire du palais de l’Élysée à l’époque du déclenchement de la crise syrienne en 2011, qui est ledit «président européen» visé par Tebboune? Ce même Tebboune qui avait reconnu, le 8 juillet 2021, lors d’une interview avec la chaîne Al Jazeera, que c’est un dirigeant qatari qui avait proféré cette menace contre Alger.
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En effet, c’est bien l’ancien ministre qatari des Affaires étrangères Hamad Bin Jassim Bin Jabr Al Thani qui avait ainsi tancé et privé de parole Mourad Medelci, alors chef de la diplomatie algérienne, lors d’une réunion ministérielle houleuse de la Ligue arabe au Caire, à la mi-novembre 2011, où a été décidée l’expulsion de la Syrie.
Pourquoi alors attribuer aujourd’hui cette scène de ménage arabo-arabe à un «président européen»?Continuant sur sa lancée anti-française, Tebboune a même «révélé» connaître l’origine de «Dawla madania, machi askaria» (un Etat civil et non militaire), ce slogan-phare du Hirak et du peuple algérien dans son ensemble contre la junte militaire qui le dirige depuis 1962. Pour Tebboune, le Hirak n’est rien d’autre qu’une «5e colonne» dont certains meneurs ont été formés par des «officines spécialisées».
Entérinant le caractère éphémère de sa lune de miel avec Emmanuel Macron, Tebboune a fustigé ceux qui doutent de l’existence de la nation algérienne et affirment que l’Algérie est une création française. L’allusion est claire aux propos du président Macron qui avait lancé le 30 septembre 2021 à l’adresse de jeunes Français, originaires de l’Algérie: «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française?»
Ses propos avaient provoqué le rappel par le régime d’Alger de son ambassadeur à Paris.
Pour mieux concentrer ses tirs groupés contre la France, le président algérien a évoqué les relations avec son nouvel ennemi européen, à savoir l’Espagne, avec laquelle l’Algérie a suspendu ses relations diplomatiques et un traité de coopération et de bon voisinage depuis plusieurs mois à cause de son soutien au plan marocain d’autonomie au Sahara.
Tebboune dit «regretter que les relations entre les deux pays en soient arrivés là». Il estime que les dirigeants espagnols «ont fait un faux pas» qui a conduit au gel des relations bilatérales, même si les relations avec le peuple espagnol et le roi d’Espagne «sont très bonnes».
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Tebboune conditionne un retour à la normale au rétropédalage de l’Espagne sur le soutien au plan marocain.
Inconséquente conduite de la part d’un régime qui affirme que son soutien au Polisario est une «question de principe» et qu’il n’est pas partie au conflit du Sahara.
En ce qui concerne dossier du Sahara marocain, Tebboune l’a abordé sous l’angle de ce qu’il appelle l’élection «démocratique» de Brahim Ghali, et ce en vue de cacher que c’est la junte militaire qui l’a imposé une nouvelle fois à la tête du Polisario où il est majoritairement décrié. Il a aussi voulu faire endosser le blocage algérien du dossier du Sahara au seul Maroc en déblatérant sur de prétendues négociations directes entre feu Hassan II et une délégation de séparatistes, comprenant Benbatouche, qui auraient été bloquées après le décès du défunt roi.
Lors de son bavardage avec les deux journalistes, Tebboune a eu l’outrecuidance de proférer d’autres insanités indignes d’un chef d’État. A ce sujet, il affirmé, sans sourciller, que les démocraties européennes se sont constituées à partir de l’Algérie, qui aurait mis fin, selon lui, aux dictatures salazarienne au Portugal, franquiste en Espagne et des colonels en Grèce. Cela aurait été de la belle ouvrage si seulement l’Algérie avait fait un effort pour balayer devant sa porte… en mettant un terme au régime des généraux.