Dans cette interview avec Le360, Emmanuel Dupuy, président du think tank français «l’Institut prospective et sécurité en Europe» (IPSE), apporte une analyse fouillée sur l’initiative royale atlantique initiée par le Souverain pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’océan Atlantique. Il y explique notamment comment cette nouvelle stratégie s’inscrit parfaitement dans «le redimensionnement cardinal des relations internationales».
Le360: comment l’initiative royale atlantique renforce-t-elle la position du Maroc en tant qu’acteur clé en Afrique?
Emmanuel Dupuy: l’initiative lancée par le Roi le 9 novembre dernier «Façade Atlantique 2030» est, comme son nom l’indique, un projet d’ambition qui ne concerne pas seulement le Maroc, mais l’ensemble du voisinage atlantico-marocain. Il s’agit de 23 pays de la façade atlantique de Tanger jusqu’au Cap qui, d’une certaine façon, rappellent plusieurs éléments stratégiques, parmi lesquels l’importance du lien transatlantique (…) Quand le Roi propose cette initiative, il a en tête un élément très important que les pays africains regardent avec beaucoup d’attention. En effet, sur les 44 pays qui n’ont pas de rivages et donc enclavés dans le monde, 16 sont africains. Donc, pour assurer la symétrie du développement économique, il faut désenclaver un certain nombre de pays. L’initiative atlantique vise aussi non seulement à sécuriser un avenir stratégique du Maroc jusqu’à l’Afrique du Sud, le long de la façade atlantique, mais également de permettre à des pays enclavés d’avoir un accès au littoral atlantique: le Mali, le Tchad, le Burkina Faso, le Niger.
Pour résumer, cette initiative est novatrice dans le sens où elle correspond à un redimensionnement cardinal au sens propre du terme des relations internationales. On évoque beaucoup le Sud global. Auparavant, cela s’appelait la coopération Sud-Sud. Il n’y a pas de Sud global. Comme il n’y a pas d’Occident globalisé non plus, il y a des différences d’approche, des démocraties libérales, des pays qui sont entrés dans l’émergence, des pays qui ont vocation à y rentrer, et des pays qui malheureusement connaissent des crises successives: la crise migratoire, la crise démographique, la crise environnementale et la crise sécuritaire. Donc, cette initiative correspond à ce qu’est la politique étrangère du Maroc, une politique à 360 degrés, une diplomatie agile visant à éviter les problèmes avec chacun de ses voisins. Cela ne veut pas dire que les voisins ont la même logique et notamment le voisin oriental, et peut-être un peu le voisin méridional.
«Le Roi du Maroc a lancé cette initiative avec la certitude qu’il fallait que le continent africain se positionne sur le très long terme.»
— Emmanuel Dupuy.
Cette initiative correspond aussi à une logique qui veut qu’une coopération intra-africaine vienne compléter une coopération intracontinentale, parce que cette initiative atlantique ne s’arrête pas à Tanger. Elle va tout le long de la façade atlantique vers le nord de l’Europe, avec la nécessité d’œuvrer à créer une zone de libre-échange mutuellement bénéfique entre l’Europe occidentale, l’Afrique occidentale, l’Afrique centrale, l’Afrique australe dans une interdépendance vertueuse.
Il y a aussi une volonté de désenclaver l’Afrique…
La volonté de désenclaver l’Afrique à travers cette initiative a aussi comme logique idoine ou gigogne le désenclavement des régions marocaines. Sur les douze régions marocaines, neuf ont une façade atlantique, mais trois n’en ont pas. Donc, c’est aussi un désenclavement interne. Et puis bien évidemment, avoir à l’esprit que le Maroc, en tant que puissance émergente, a besoin d’entraîner les autres vers des marchés qu’elle ambitionne d’appréhender de manière collective: le marché européen d’un côté, le marché sud-américain de l’autre, et le marché américain de manière générique.
«Le Maroc s’est mis au diapason des attentes des différents pays et je crois que c’est un élément important.»
— Emmanuel Dupuy.
Dernier point: le Roi du Maroc a lancé cette initiative avec la certitude qu’il fallait que le continent africain se positionne sur le très long terme. C’est pour ça que l’initiative s’appelle «Façade Atlantique 2030». Cela s’inscrit dans une logique où il y a une mobilisation de tous les acteurs économiques pour développer les ports en eau profonde, le port de Dakhla Atlantique à l’horizon 2028 en est un exemple. Sans oublier l’espoir ou en tout cas la perspective que cette initiative atlantico-africaine aille de pair avec l’initiative du gazoduc Maroc-Nigéria et, de facto, offrir une alternative au gaz et au pétrole dont l’Europe a besoin.
Dans la même veine, pourriez-vous commenter la manière dont le Maroc, sous le règne du roi Mohammed VI, a consolidé son leadership régional et continental, en particulier dans le domaine de la coopération économique et sécuritaire?
Le Maroc s’est mis au diapason des attentes des différents pays et je crois que c’est un élément important. Je crois que le temps est révolu, où on en est encore à penser qu’il faut calquer des modèles sécuritaires, des modèles de développement, des modèles d’organisation institutionnelle du Nord vers le Sud. L’Union africaine a sa propre dynamique, sa propre logique, qui n’a pas besoin de singer l’Union européenne. Donc, bien évidemment, la stratégie encore une fois multidimensionnelle et multidirectionnelle du Maroc visant à engager des relations avec des pays qui perçoivent la position marocaine comme une position mutuellement bénéfique. Il y a aujourd’hui, à l’heure où nous parlons, 84% des États de la planète qui reconnaissent la marocanité du Sahara.
Je n’ai pas évoqué la question sécuritaire: elle est tout aussi importante, dans ces temps perturbés où un certain nombre de voisins du Maroc sont en train de séquencer autrement leur destin démocratique ou tout simplement en train de se départir des organisations auxquelles ils appartenaient. Le Mali, le Niger et le Tchad ne font plus partie ou estiment ne plus faire partie de la CEDEAO. D’ailleurs, le Maroc a eu raison de vouloir l’intégrer en 2017.
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C’est toute une reconfiguration qui fait que le Maroc peut aider au désenclavement politique, sécuritaire de ces pays. Ne pas les laisser, nonobstant le fait qu’ils aient choisi une voie adémocratique avec les coups d’État militaires en 2020 au Mali, en 2022 au Burkina Faso et l’été dernier en juillet 2023 au Niger. Bref, participer d’une volonté de servir de médiateur. Ce fut le cas lors de la réunion à Marrakech, en novembre dernier, où les trois ministres des Affaires étrangères des trois pays cités plus le Tchad, ont répondu à l’appel de Nasser Bourita pour essayer de créer du lien parce que la situation est dramatique et continue à mettre en péril la vie des citoyens sahéliens. Et de ce point de vue, la responsabilité du Maroc, au même titre que la responsabilité des pays du nord du Sahel, est déterminante pour aider à trouver une solution. D’autant plus que la présence occidentale est désormais un peu remise en cause, pour ne pas dire repoussée.