Xavier Driencourt et Chawki Benzehra somment le recteur de la Grande Mosquée de Paris de demander la libération de Sansal

De g. à d.: Chawki Benzehra, lanceur d'alerte algérien, et Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie.

De g. à d.: Chawki Benzehra, lanceur d'alerte algérien, et Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie.

Dans une tribune publiée dans les colonnes du Figaro le 13 janvier 2025, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, et Chawki Benzehra, lanceur d’alerte algérien, interpellent Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, au sujet de son compatriote Boualem Sansal.

Le 14/01/2025 à 13h51

Alors que la France subit depuis plusieurs mois - et plus précisément depuis le (re)gel de ses relations avec l’Algérie après la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France - les assauts numériques d’influenceurs à la solde du régime d’Alger, appelant à commettre des actes de violence sur son territoire, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’Algérien Chems-Eddine Hafiz, a outrepassé (une fois encore) ses fonctions religieuses pour verser dans la politique. Car au-delà de sa fonction religieuse, celui-ci a surtout révélé publiquement son allégeance à Abdelmadid Tebboune et au régime qu’il incarne en Algérie.

Ainsi, la Grande Mosquée s’est-elle fendue d’un communiqué de presse le 6 janvier 2025 afin de dénoncer «la campagne calomnieuse intolérable menée à son encontre et à l’encontre de son recteur», sur la chaîne CNews, menée par «un obscur blogueur», alias Chawki Benzehra, et par «l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, connu pour son hostilité aveugle contre le pays où il fut en fonction», peut-on lire. Ce que le recteur leur reproche: avoir «lancé de graves accusations en affirmant que notre institution cherchait à déstabiliser la France».

Mais en identifiant nommément Driencourt et Benzehra comme des promoteurs de haine, porteurs d’une idéologie raciste d’extrême droite et hostiles au régime d’Alger, Chems-Eddine Hafiz a en réalité placé une cible sur leur tête. Raison pour laquelle les deux principaux concernés ont décidé d’unir leurs voix dans cette tribune pour dénoncer d’emblée la teneur dudit communiqué, qu’ils qualifient de «fatwa» signée par le recteur à leur encontre.

Boualem Sansal, le grand oublié du recteur de la Grande Mosquée de Paris

Driencourt et Benzehra ne se connaissaient pas, mais leur union fait désormais leur force, et cela, c’est à Chems-Eddine Hafiz qu’ils le doivent, rappellent-ils à plusieurs reprises, non sans ironie: «C’est grâce à vous, Monsieur Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Mosquée de Paris, que tous les deux, signataires de ce texte, nous nous sommes rencontrés aujourd’hui à Lyon», et ce malgré la différence de leurs origines, de leurs itinéraires personnels, de leurs parcours professionnels… autant de différences qui ne les prédestinaient pas à se rencontrer.

Mais l’ancien ambassadeur et le lanceur d’alerte n’ont pas pris la plume uniquement pour protester contre ce communiqué, ceux-ci étant bien déterminés à aller au bout de leurs convictions en mettant le recteur devant ses propres contradictions.

La première, relèvent-ils, étant que «ce communiqué hostile ne mentionne aucunement le sort de votre double compatriote, français comme vous, algérien comme vous, Boualem Sansal». Un comble pour une institution qui se dépeint elle-même dans sa dernière publication comme «une institution indépendante, portant la voix de l’islam et de tous les musulmans en France, ouverte fraternellement sur les autres et sur le monde en cultivant des liens avec de nombreux pays, dont l’Algérie».

Car comment expliquer que Chems-Eddine Hafiz, qui appelait en ce début d’année «les citoyens français à s’engager en faveur de l’apaisement, de l’unité et de la cohésion sociale», fasse si peu de cas du sort de Boualem Sansal, écrivain et essayiste franco-algérien, âgé de 80 ans, et détenu depuis le mois de novembre dans une prison en Algérie? D’autant, rappellent les deux signataires, que «vous êtes également tous les deux, membres de la même compagnie, l’Académie des sciences d’outre-mer» et que «Boualem Sansal est donc votre confrère».

Quand la propagande politique se sert de la sphère religieuse pour proliférer

La réponse est toute trouvée, le recteur est trop «occupé par (ses) multiples activités politiques», dénoncent Driencourt et Benzehra. Et de réaffirmer leur position initiale en dénonçant l’implication du recteur dans la campagne de déstabilisation menée par l’Algérie en France. «Peut-être préférez-vous fédérer, structurer, organiser les réseaux des soi-disant influenceurs algériens, leur dicter le discours officiel», lancent-ils ainsi, accusant le recteur de se faire le porte-voix de la propagande qui prolifère dans les colonnes des journaux à la solde du pouvoir algérien: «Le Moudjahid, l’Expression, El Khabar et l’APS le font avec vous».

Xavier Driencourt et Chawki Benzehra n’hésitent d’ailleurs pas à qualifier le recteur de la Grande Mosquée de Paris de «porte-parole» du système algérien, lui qui présidait, rappellent-ils, «le comité de soutien au président Tebboune» lors des dernières élections présidentielles en Algérie. À ce titre, Chems-Eddine Hafiz n’est donc pas sans savoir la position difficile de l’Algérie, notent les deux auteurs de la tribune, «fragilisée sur l’échiquier international par ses revers au Sahel, sa rupture avec le Maroc, sa brouille avec la France après celle avec l’Espagne, le tiède soutien que la Russie lui accorde et enfin, la chute du régime syrien».

Accusé «de souffler sur les braises et de vouloir être le gardien de la morale politique et de la bonne conscience algérienne», Chems-Eddine Hafiz est invité, en tant qu’ «éminente personnalité», à analyser lucidement les problèmes et à accompagner le changement «qui serait profitable autant à l’Algérie qu’à la France, compte tenu de la proximité des deux pays et des deux peuples». Car dès lors que celui-ci a décidé de s’occuper davantage de politique que de religion, «c’est votre rôle d’accompagner cette évolution et de favoriser un rapprochement authentique entre nos pays», lui notifient-ils. Mais de lui rappeler dans le même temps que dans le cadre du rôle religieux qu’il exerce et grâce à son «influence qui est grande», il conviendrait que celui-ci demande «officiellement la libération de votre compatriote et votre confrère, Boualem Sansal, même si vous avez peu de sympathie pour lui et ses propos».

Et de conclure cette tribune en rappelant leur attachement commun à la France comme à l’Algérie, pays dont ils respectent l’histoire, et que contrairement à ce qui sera assurément dit ici et là, cette lettre n’est pas «le signe, la preuve d’un complot hostile à l’Algérie (…) par l’extrême droite et les nostalgiques de la France coloniale». Car l’objectif de cette tribune commune est d’exprimer avant tout une pensée profonde, sans autre prétention: «Il est temps de refonder cette relation, de mettre à plat l’ensemble des dossiers et de cesser d’instrumentaliser la rente mémorielle et les réseaux qui soutiennent ce discours en France».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 14/01/2025 à 13h51