La veille de ce 108e vendredi du Hirak a été marquée par une manœuvre insidieuse du pouvoir qui a largement mis à contribution les réseaux sociaux et de téléphonie mobile, en vue de faire peur aux manifestants et de les dissuader de sortir dans la rue. Aussi bien le ministère algérien de la Défense, que l’état-major de la gendarmerie algérienne, ont envoyé des millions de SMS aux Algériens ces dernières heures, avec ce message: «Profite de tes vacances et préserve ta famille».
Loin d’une quelconque incitation touristique visant à bronzer intelligent, les Algériens sont indirectement mis en garde contre une menace sournoise et ainsi appelés à rester chez eux et surtout à éviter d’aller manifester sur les artères des grandes villes.
Peine perdue. Car toutes ces menaces n’ont finalement servi à rien, puisque la mobilisation a été tout simplement monumentale et toujours plus forte, ce 12 mars 2021, dans toutes les grandes villes du pays.
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A Alger, une foule très compacte, composée de plusieurs centaines de milliers de personnes, et étendue à perte de vue, a défilé sur les artères du centre-ville en scandant surtout, actualité oblige, le slogan «Ma kayen chi intikhabat» (il n’y aura pas d’élections), «Tebboune Mezaouar, Djabouh L3askar makan’ch echar3ia» (Tebboune l’usurpateur est imposé par les militaire et n’est pas légitime). Il s’agit là d’une réponse de la rue à la convocation par le président Abdelmadjid Tebboune du corps électoral pour le 12 juin prochain.
«Dawala madania machi askaria» (un Etat civil, pas militaire) reste toutefois le slogan-phare des manifestations de ce vendredi. D'autant que cette fois encore le Hirak a clairement réagi aux insultes des généraux à son égard, par médias officiels interposés, en particulier dans les colonnes du dernier numéro du porte-voix officiel des militaires, la revue El Djeïch. Le mouvement de contestation populaire a été ainsi qualifié cette semaine, par l’armée algérienne, de bande de «traîtres» manipulés par l’étranger et de «terroristes» pour avoir exigé un «Etat civil et non militaire». En plus de la revue militaire, les organes officiels, comme l’APS, l’ENTV et El Moudjahid, entre autres, ont été hués et honnis par les manifestants. La presse algérienne, majoritairement à la solde du régime militaro-oligarque, a été vivement prise pour cible par les manifestants lors de ce vendredi.
«Moukhabarat irhabya, taskott al mafia alaskaria» (les services de renseignement sont des terroristes, à bas la mafia militaire) est l’autre slogan qui a été largement scandé dans les villes d’Algérie. Une attention particulière a été portée aux généraux à la retraite Mohamed Mediène (dit Toufik) et Khaled Nezzar. Les manifestants ont demandé à ce qu’ils paient pour leurs crimes pendant la décennie noire.
Les slogans anti-généraux ont été également les plus scandés dans les grandes villes de Kabylie (Tizi-Ouzou, Bouira et Béjaia). A Tizi Ouzou, une manifestation monstre a été organisée ce 108e vendredi, au rythme des chansons de feu Idir, et avec des centaines de pancartes portant divers slogans comme: «Pour une Algérie démocratique, ni militaire, ni théocratique», «Dégagez, bande de corrompus», «Transition, transition», «Ni Etat militaire, ni Etat intégriste»…
«Dawla madania machi askaria» a aussi fortement résonné à Bejaia, Annaba, Oran… pour rappeler aux généraux que les hommes politiques qui dirigent le pays doivent être choisis par le peuple et non par les généraux. La foule scandait également «Pas d’APN» (chambre des députés) ou le «traître, c’est Zaghmati» (le ministre de la Justice auteur du projet de retrait de la nationalité aux opposants algériens exilés).
Ce vendredi 12 mars a enregistré le plus grand nombre d’Algériens dans la rue depuis la reprise du Hirak le 22 février dernier. Les slogans, qui ciblent clairement les généraux et l’homme qu’ils ont placé comme président, ne laissent aucune équivoque sur la nature des revendications des manifestants. Jusqu’à quand le pouvoir va résister à la pression du peuple?