Pour l'ingénieur des eaux et forêts Nikos Bokaris, Mati, la localité sur la côte orientale de l'Attique martyrisée par ces feux, cumulait tous les risques en mêlant pins, résidents et baigneurs sur quelques kilomètress densément occupés et urbanisés sans contrôle au pied de monts boisés.
La chance de ses habitants, qui avaient jusque là été épargnés par les feux, récurrents en Grèce l'été, s'est retournée contre eux, juge-t-il. "Les pins étaient vieux, très hauts et gros: tout le combustible nécessaire pour que les flammes enflent et courent, dégageant une énorme charge thermique" qui a fait fondre jusqu'aux carrosseries de voitures.
"On le voit bien par exemple en Californie: même dans des pays disposant d'énormes moyens de lutte contre le feu, le défi posé par la coexistence entre tissu urbain et milieu forestier est énorme", souligne aussi Kostis Kalambokidis, géographe et expert en catastrophes naturelles.
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Le feu a été attisé par des vents extrêmement violents et instables, avec des pointes à plus de 100 km/h. "C'est vrai que le phénomène était asymétrique", comme l'a dit le Premier ministre Alexis Tsipras, juge Kostis Kalambokidis. Mais il réfute toute fatalité: "nous savons très bien que le changement climatique crée de plus en plus des conditions météo extrêmes", raison de plus pour apprendre à gérer le risque.
Ce qui a manqué, ce qui aurait pu sauver des vies? "La prévention. Nous sommes fatigués de le dire, le répéter et ne voir jamais rien bouger", relève la docteure en environnement Christina Théohari. A commencer par le plus simple, un plan d'évacuation d'autant plus nécessaire que les routes du secteur sont étroites et mal entretenues.
Nombre de victimes ont été bloquées dans des embouteillages quand la panique a gagné, d'autres sont mortes en fuyant vers des falaises plutôt que vers la plage. C'est apparemment le cas des 26 personnes retrouvées carbonisées et enlacées par petits groupes mardi matin à Mati. Bornes d'incendie hors service selon des témoins, jardins et cours envahis d'herbes, arbres non ébranchés ou touchant les toits: d'autres négligences n'ont pas manqué, imputables en partie à la cure d'austérité infligée au pays depuis huit ans.
Comme l'ont prouvé les grands incendies de 2007, qui avaient tué 77 personnes dans le Péloponnèse et en Eubée, "le feu n'a pas attendu la crise pour brûler, mais il est certain que l'assèchement financier des services publics n'arrange rien", relève Nikos Bokaris. Selon les statistiques officielles, le budget des services de pompiers est passé de 452 millions d'euros en 2009 à 354 l'année dernière.
L'absence de sensibilisation et de formation des habitants au risque a aussi joué, selon Christina Théohari. Un des sinistrés de Mati, Andréas Matsios, reconnaît ainsi n'avoir "jamais imaginé" que le feu pourrait gagner sa localité. Pour l'universitaire Kostas Synolaki, spécialiste en catastrophes naturelles, "l'alerte aurait dû être donnée dès le départ du feu" en amont de Mati, pour jeter le plus de pompiers possible dans la lutte et ordonner à temps l'évacuation.
Il met en cause une planification opérationnelle qui semble ignorer "tout ce que permet la technologie moderne", notamment avec des logiciels modélisant la propagation du feu pour mieux coordonner et organiser les interventions. "A l'époque où les services forestiers étaient chargés de la lutte contre le feu, nous avions des équipes dispersées partout en mesure d'intervenir avant que le feu n'enfle, il faut absolument remettre ce système en place", plaide pour sa part Nikos Bokaris.
Après 2007, le pays avait engagé une remise à niveau de son système de lutte contre le feu, jugé notamment trop axé sur les opérations aériennes au détriment de la lutte sur le terrain. "Au final, je ne sais pas qui a fait quoi ou pas, mais ce qui est sûr au vu du résultat, c'est que cela n'a pas marché", tranche l'ingénieur.