Vaste mobilisation en France pour la libération de Boualem Sansal, arrêté par le régime d’Alger et porté disparu depuis

Boualem Sansal, écrivain et essayiste franco-algérien.

Les éditions Gallimard ont demandé, vendredi 22 novembre, la «libération» de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal après son arrestation par les services de sécurité algériens. Plusieurs responsables politiques français, y compris dans l’entourage d’Emmanuel Macron, ont à leur tour exprimé leur inquiétude. Des auteurs, tels que Tahar Ben Jelloun, Nicolas Mathieu, Yasmina Khadra ou encore Kamel Daoud dénoncent.

Le 23/11/2024 à 09h29

«Les éditions Gallimard (...) expriment leur très vive inquiétude à la suite de l’arrestation de l’écrivain par les services de sécurité algériens et appellent à (sa) libération immédiate», écrit l’éditeur dans un communiqué. Boualem Sansal, 75 ans, dont les écrits ont pour constante la lutte contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme, a été arrêté samedi à l’aéroport d’Alger, en provenance de France. L’agence algérienne APS, porte-voix du régime, a confirmé cette arrestation, sans toutefois donner sa date. En revanche, aucune autre information officielle n’a filtré sur le sort du romancier et essayiste franco-algérien.

Derrière cette arrestation, des déclarations de Boualelm Sansal au média français Frontières, dans lesquelles il fait siens les faits historiques établissant que de larges parties du territoire marocain ont été tronquées sous la colonisation au profit de l’Algérie française. Le régime Alger voit dans les affirmations de l’écrivain une «atteinte à l’intégrité nationale».

L’entourage d’Emmanuel Macron a fait savoir dès jeudi 21 novembre que le président français était «très préoccupé par (cette) disparition», précisant que «les services de l’état sont mobilisés pour clarifier sa situation».

Plusieurs responsables politiques français ont également exprimé leur inquiétude, notamment l’ex-Premier ministre Édouard Philippe, qui estime que l’écrivain «incarne» notamment «l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme».

«Derrière les barreaux, comme l’Algérie tout entière»

Des écrivains et intellectuels ont également exprimé leur soutien, comme le Français Nicolas Mathieu, qui a parlé de «piège», ou le Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun, qui a appelé à «libérer» Boualem Sansal. «Son arrestation m’insupporte. La place d’un intellectuel est autour d’une table ronde, autour d’un débat d’idées, et non en prison», écrit son compatriote Yasmina Khadra dans un communiqué adressé à l’agence de presse française AFP. Dans l’hebdomadaire français Le Point, le Franco-Algérien Kamel Daoud dénonce quant à lui le fait que son «frère» soit «derrière les barreaux, comme l’Algérie tout entière».

L’éditeur français Gallimard a été banni du Salon international du livre d’Alger cet automne. Kamel Daoud est également visé par deux plaintes en Algérie qui l’accusent, avec son épouse psychiatre, d’avoir utilisé l’histoire d’une patiente pour «Houris», roman évoquant la guerre civile dans le pays qui a été récompensé par le Goncourt (le plus prestigieux prix littéraire français) cette année.

L’agence de presse officielle algérienne APS a reproché vendredi à la France de prendre «la défense d’un négationniste qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie», qualifiant l’écrivain de «pantin».

Un père d’origine marocaine

Boualem Sansal est une grande voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d’une œuvre engagée contre l’obscurantisme et pour la démocratie, parfois caustique, toujours sans tabou.

Né en 1949 en Algérie, d’un père d’origine marocaine et d’une mère qui a reçu une éducation à la française, il commence à écrire à 48 ans et publie son premier roman, «Le Serment des Barbares», deux ans plus tard. Il y raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger l’Algérie dans une décennie de guerre civile ayant fait 200.000 morts entre 1992 et 2002.

Après avoir été enseignant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire, il est limogé en 2003 du ministère de l’Industrie pour sa position critique envers le pouvoir, en particulier sur l’arabisation de l’enseignement. En 2019, il participe à Alger aux manifestations qui conduisent à la démission du président Bouteflika.

Parmi ses titres, «Le village de l’Allemand» (2008), censuré dans son pays d’origine, invoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises. Dans «2084, la fin du monde» (2015), il dénonce la menace du radicalisme religieux sur les démocraties, en imaginant l’islamisme au pouvoir. Ses mises en garde à l’Europe contre ce danger ont valu à cet athée revendiqué de solides inimitiés. En Algérie, les menaces ont redoublé depuis qu’il s’est rendu en Israël pour y recevoir un prix littéraire en 2014.

Boualem Sansal se défend inlassablement des soupçons d’islamophobie. «Je n’ai jamais dit quoi que ce soit contre l’islam qui justifierait cette accusation», mais «ce que je n’ai cessé de dénoncer, c’est l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et sociales», expliquait-il à l’AFP en 2017.

Par Le360 (avec AFP)
Le 23/11/2024 à 09h29