Transparence: quand la Commission européenne lave plus vert que blanc

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDébats ubuesques au Parlement de Strasbourg, où le Commissaire européen au Budget est contraint de reconnaître que la Commission a financé– avec l’argent du contribuable européen– le lobbying d’une poignée d’ONG dans le but d’influencer le vote d’eurodéputés ciblés sur les politiques du Pacte Vert.

Le 01/02/2025 à 10h00

Ce qui pourrait rapidement devenir un GreenDealGate est né de contrats passés entre la Commission européenne et différentes ONG environnementalistes, durant le précédent mandat, découverts cet hiver par quelques eurodéputés de la commission du contrôle budgétaire, confirmés donc par un Commissaire passé au grill lors d’un débat sobrement intitulé «Financement par l’UE, via le programme LIFE, d’entités exerçant des activités de lobbying auprès des institutions de l’UE - besoin de transparence». Avouant, dans l’hémicycle que «dans les accords qui ont été signés, il y avait des clauses qui obligeaient les ONG à mener des activités spécifiques très détaillées destinées à des députés européens spécifiques ou à des services spécifiques de la Commission», le commissaire Piotr Sérafin admet «qu’il était inapproprié que certains services de la Commission concluent des accords obligeant les ONG à faire pression spécifiquement sur les membres du Parlement européen».

Débats ubuesques donc– y compris dans le jeu de rôle de groupes politiques incapables de se hisser à la hauteur du scandale, à savoir la violation du principe de séparation des pouvoirs dans l’UE, par la Commission Von der Leyen. Rien de tel dans l’hémicycle, la petite politique chassant la grande: The Left aux abonnés absents, alors qu’en France, en 2024, Manon Aubry avait mis la chasse aux lobbyistes en tête de ses promesses électorales. Le PPE réglant son compte à Frans Timmermans, premier vice-président et bien-nommé commissaire à l’action pour le climat qui avait fui le navire avant l’orage, démissionnant à l’été 2023– mais une droite et un centre européens feignant d’oublier que le Green Deal– fil vert de toute la mandature précédente– était le projet d’un couple soudé, dont la rescapée n’est autre qu’Ursula Von der Leyen, issue des rangs de la démocratie chrétienne européenne, élue et réélue en 2024 grâce à cette coalition PPE et Renew. Enfin la gauche– socialistes et Verts– unie, de concert, pour formuler un vibrant et manichéen soutien à l’action des bons (les ONG) contre les méchants (les intérêts économiques européens), ce qui est évidemment hors sujet en l’espèce.

«Perte de compétitivité de l’UE, déclin des filières automobile ou agricole, ouverture accrue à la concurrence et aux technologies chinoises… il ne manquait décidément au bilan du Pacte Vert que la crise démocratique que ce scandale révèle.»

Car ce ne sont pas, en soi, les actions d’influence des Organisations non gouvernementales qui sont en cause. Même si celles-ci rechignent à endosser le terme, peu flatteur à leurs yeux, de lobbying, au profit de plaidoyer, c’est bien de cela qu’il s’agit: influer sur l’agenda législatif, ainsi que sur le fond des textes adoptés en codécision, par les États membres et le Parlement européen. Très organisées, très efficaces… et très nombreuses, plus de 3.000 sont enregistrées au registre de transparence de l’UE, les ONG ne vivent certainement pas que de la générosité de leurs adhérents. Le Green10, qui coalise le «Top Ten» des ONG présentes dans la capitale européenne, communique d’ailleurs sur leurs modes de financements: au cas par cas pour des projets spécifiques de la part de gouvernements et de fondations, la plupart recevant également un financement de base de la Commission européenne, pour certaines organisations des dons spécifiques de l’industrie. Et précisant d’ailleurs qu’une seule, parmi les majors, Greenpeace, ne demande ni n’accepte aucun soutien financier des gouvernements, de l’UE ou de l’industrie.

Ce qui devrait en revanche mobiliser l’ensemble des eurodéputés, tous groupes confondus, dans ce montage révélé a posteriori, c’est assurément la rupture avec un principe essentiel de la construction européenne. La Commission, qui possède déjà le monopole exorbitant de l’initiative législative, doit ensuite laisser légiférer les deux organes démocratiques du triangle institutionnel, le Conseil (les 27 gouvernements) et les parlementaires– lesquels sont libres de consulter l’ensemble des parties prenantes, dont les ONG. Tenter, comme l’a fait la CE, d’influencer, via des éléments de langage fournis secrètement et contre rémunération, à quelques «porte-voix de la société civile», des eurodéputés ciblés dans le but d’orienter les politiques votées est plus qu’«inapproprié». Est-ce pour autant illégal? Devant les députés, Piotr Serafin l’écarte, sur la «base de l’évaluation de ses services juridiques». Mais déjà un membre du Parlement, ancien magistrat français, a annoncé saisir le procureur européen en chef, et l’Office européen de Lutte Antifraude, pour détournement de fonds publics, trafic d’influence et actes de corruption active et passive. Tandis que la Cour des comptes européennes procède à un audit dont les conclusions sont attendues pour le premier semestre 2025.

Perte de compétitivité de l’UE, déclin des filières automobile ou agricole, ouverture accrue à la concurrence et aux technologies chinoises… il ne manquait décidément au bilan du Pacte Vert que la crise démocratique que ce scandale révèle.

Par Florence Kuntz
Le 01/02/2025 à 10h00

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"Perte de compétitivité de l’UE, déclin des filières automobile ou agricole, ouverture accrue à la concurrence et aux technologies chinoises… il ne manquait décidément au bilan du Pacte Vert que la crise démocratique que ce scandale révèle." Au rythme où vont les choses nous allons nous trouver face un occident autre que celui que nous avons connu jusqu'à présent. Le nouveau sera dirigé par les milliardaires et les partis nationalistes. ce "Nous d'abord" aura des conséquences que personne, à l'heure où il est, ne pourra en évaluer la teneur. Crises politiques, économiques, budgétaires, diplomatiques et surtout climatiques, Cet "en même temps" me donne l'impression que nous allons tous dans le mur.

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