TikTok, filiale du groupe chinois ByteDance, a porté plainte hier lundi contre le Montana, l’Etat américain qui a promulgué la semaine dernière une loi pour bannir l’application à partir de l’année prochaine. Cette interdiction «enfreint la constitution des Etats-Unis de multiples façons», affirme l’entreprise, et notamment le premier amendement qui garantit la «liberté d’expression», argue le document consulté par l’AFP.
De nombreux élus américains pensent que la plateforme de vidéos courtes, fréquentée par 150 millions d’Américains, permet à Pékin d’espionner et de manipuler les utilisateurs. L’entreprise a toujours nié ces accusations. Mais le parlement du Montana a adopté mi-avril un texte qui ordonne aux magasins d’applications mobiles (Apple et Google) de ne plus distribuer TikTok à partir du 1er janvier 2024, tandis que le Congrès et la Maison Blanche réfléchissent à des projets de loi similaires.
«TikTok exerce son jugement éditorial, un droit protégé par la Constitution, pour diffuser et promouvoir des contenus créés par des tiers», indiquent les avocats de l’entreprise. Ils font aussi valoir que l’Etat américain n’a pas le pouvoir légal de bannir l’application pour des motifs de sécurité nationale, sujet qui relève de l’Etat fédéral.
La plainte évoque en outre un principe d’équité. «Au lieu de réguler les réseaux sociaux en général, la loi bannit TikTok, et seulement TikTok pour des raisons punitives (...) fondées sur des inquiétudes spéculatives au sujet de la sécurité des données et de la modération des contenus», argumentent les juristes.
Des représentants démocrates avaient déjà souligné pendant les débats que de nombreux reproches faits à TikTok, sur la confidentialité des données, la désinformation ou les effets néfastes sur la santé des plus jeunes (addiction, dépression) concernent aussi les autres réseaux sociaux, comme Instagram.
«Sentiment anti-chinois»
Dès que le gouverneur de cet Etat américain du nord-ouest, Greg Gianforte, a promulgué la loi mercredi dernier, de nombreuses voix se sont élevées pour accuser le Montana de censure ou pour faire remarquer que le texte serait difficile à appliquer, techniquement et juridiquement.
«Avec cette interdiction, le gouverneur Gianforte et le parlement du Montana piétinent la liberté d’expression de centaines de milliers d’habitants qui se servent de cette application pour s’exprimer, trouver des informations et promouvoir leur petite entreprise, au nom du sentiment anti-chinois», a déclaré mercredi Keegan Medrano, un responsable de la branche locale de la puissante association de défense des droits civiques ACLU.
Cinq utilisateurs de TikTok ont déposé un recours devant le tribunal fédéral du Montana pour demander l’invalidation de la loi.
En vertu du premier amendement de la Constitution américaine, «TikTok a le droit de distribuer de l’information et les utilisateurs ont le droit de recevoir de l’information et aussi d’en distribuer», a noté Lyrissa Lidsky, professeure de droit à l’université de Floride, pour l’AFP. Le texte a donc «de fortes chances d’être considéré inconstitutionnel», a-t-elle détaillé.
Rachat par une entreprise américaine-
La loi serait invalidée si TikTok venait à être racheté par une entreprise américaine (ou d’un pays non ennemi des Etats-Unis), et la Maison Blanche a incité TikTok à chercher ce type de solution si elle veut pouvoir rester dans le pays.
Le sort de TikTok aux Etats-Unis est débattu depuis plusieurs années. Donald Trump avait déjà essayé, en vain, de bannir l’application. Mais les tensions commerciales et politiques plus récentes avec la Chine alimentent l’animosité des élus et de l’opinion publique à l’égard du gouvernement chinois. Le survol en février d’un ballon chinois supposé espion, notamment au-dessus du Montana, n’a pas arrangé les choses.
TikTok est déjà interdit sur les téléphones des employés de nombreuses organisations, de la Commission européenne aux agences fédérales aux Etats-Unis. L’Inde a totalement banni le service en 2020.
Des ONG et élus démocrates répètent cependant que les utilisateurs n’auront qu’à utiliser des VPN (réseau virtuel privé), qui permettent d’accéder à internet depuis une autre localisation, pour contourner la loi. Et ils ne seront pas pénalisés, car la loi ne prévoit des amendes que pour les magasins d’applications.
«L’ironie c’est que le Montana est la capitale anti-gouvernement et régulation. Tout ce qui compte, c’est la liberté -sauf quand il s’agit de TikTok apparemment», a commenté lundi Carl Tobias, professeur de droit à l’université de Richmond.