Pour la deuxième année consécutive, les musulmans d’Ukraine observent le ramadan en pleine invasion russe. Dans une mosquée située près du front dans l’est du pays, la plupart des fidèles cette semaine étaient des soldats en treillis.
«Je demande à Allah de protéger notre mosquée. Je demande à Allah de protéger l’Ukraine et de punir les tyrans», lance le mollah Mourat Souleïmanov dans ses prières. «Le Ramadan est un mois de victoire», dit-il à la petite assemblée de 16 personnes, dont onze en uniforme et une femme. Le bâtiment de la mosquée présente les stigmates de la guerre: de nombreuses fenêtres sont brisées et des murs troués par des éclats d’obus. Une roquette a explosé a proximité deux jours plus tôt.
Des musulmans écoutant le sermon de la prière du vendredi 31 mars 2023, dans une mosquée située près de la ligne de front orientale, dans le contexte de l'invasion russe de l'Ukraine.. AFP
Parmi les fidèles, Saïd Ismaguilov, ancien chef spirituel des musulmans d’Ukraine. Après avoir démissionné avant la guerre, il travaille aujourd’hui comme ambulancier dans une équipe de secouristes volontaires, qui évacuent les soldats blessés. M. Ismaguilov, âgé de 44 ans, est un Tatar, un groupe ethnique majoritairement de confession musulmane. Il porte un écusson de son bataillon ASAP Rescue et montre son ambulance garée à l’extérieur de la mosquée.
«La protection d’Allah»
Saïd Ismaguilov assure sentir «la volonté et la protection d’Allah» en cas de danger. «Il est arrivé que mon ambulance soit criblée d’éclats d’obus. Dieu merci, je n’ai pas été blessé», raconte-t-il.
Lorsque la guerre a éclaté, il occupait depuis 13 ans le poste de mufti de l’administration religieuse ukrainienne Umma. Mais la mosquée où il officiait s’est vidée au fur et à mesure des évacuations. «J’ai réalisé que je ne servais à rien», explique-t-il. Il dit avoir choisi de se «lever et de défendre (sa) patrie».
L’année dernière, il a passé le ramadan à Lyssytchansk, une ville qui a subi des bombardements extrêmement violents avant que les troupes russes ne s’en emparent. M. Ismaguilov assure qu’il peut toujours respecter les règles du jeûne. «Je me suis habitué à passer le ramadan à la guerre, donc cette année n’est pas une nouveauté pour moi», dit-il. «J’ai tout ce qu’il faut pour jeûner, conformément à toutes les traditions musulmanes».
«Je ne suis plus dans les tranchées. Je passe la plupart de mes journées à conduire ou à me rendre au point de stabilisation», un bâtiment où sont emmenés les blessés pour leur prodiguer les premiers soins. Il essaie également de consacrer quelques heures à la prière la nuit.
«C’est difficile pour un musulman»
«C’est difficile pour les musulmans qui doivent rester dans les tranchées. Ils ont froid et il y a beaucoup d’eau car il pleut souvent... Il est difficile d’être musulman là-bas», poursuit Saïd Ismaguilov. Il dit ne pas savoir comment il célébrera la fin du ramadan, l’Aïd el-Fitr, plus tard ce mois-ci. «On a de la chance si on arrive à se rendre dans une mosquée et on ne sait jamais combien de personnes viendront, ou si elles viendront», affirme-t-il. En cas de bombardements intenses, ils prient dans un sous-sol.
Né dans la ville de Donetsk, aujourd’hui sous occupation russe, Saïd Ismaguilov a étudié la théologie dans une université islamique de Moscou, avant de devenir imam dans sa cité natale. Bien qu’il ait grandi dans une région largement russophone, il préfère aujourd’hui parler ukrainien. «Je trouve révoltant que les musulmans russes soutiennent la guerre», dit-il, accusant Moscou de traiter ses minorités comme de la «chair à canon».
Le ramadan exige des croyants qu’ils s’abstiennent de manger et de boire de l’aube à la tombée de la nuit pendant un mois. «Je suis absolument certain que de nombreux combattants musulmans participant aux combats aimeraient jeûner... car dans ce cas, ils se sentent encore mieux avec l’aide d’Allah», assure le mufti Souleïmanov à l’AFP, qui a remplacé M. Ismaguilov en novembre.
Un soldat à l’extérieur de la mosquée explique jeûner, comme le font la plupart des soldats musulmans, à moins qu’ils ne soient en mission de combat. «Lorsque vous allez sur la ligne de front, il est permis de ne pas jeûner. S’il ne fait pas chaud et que vous n’êtes pas tourmenté par la soif, alors vous pouvez jeûner», explique-t-il.