Le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy a sollicité l'autorisation d'avoir recours à l'article 155 de la Constitution de 1978, jamais utilisé jusqu'à présent, qui permet à l'Etat de prendre le contrôle d'une communauté autonome "si elle ne respecte pas les obligations imposées par la Constitution ou d'autres lois". Après son intervention, il a été applaudi pendant plusieurs minutes par la majorité des sénateurs, debout.
Pendant ce temps, à Barcelone, des milliers de militants indépendantistes s'étaient massés aux abords du parlement catalan, où les élus séparatistes étaient réunis pour peaufiner une résolution proposant la fondation d'un "Etat catalan indépendant prenant la forme d'une République". "Cela pourrait être le jour à marquer d'une croix blanche", commentait Lluisa Pahissa, une conseillère municipale de 65 ans.
Au Sénat, Rajoy a demandé la destitution du président de la région, l'indépendantiste Carles Puigdemont, et de son gouvernement, ainsi que la mise sous tutelle du parlement catalan. Parmi les mesures drastiques envisagées, figure aussi la mise sous tutelle des médias publics et de la police de Catalogne, pendant une période pouvant durer six mois, avant des élections régionales en 2018. Rajoy a fait valoir que "la stabilité" de l'Espagne était en jeu et qu'il s'agissait de "mesures exceptionnelles pour corriger une situation exceptionnelle".
Il a assuré qu'il s'agissait d'intervenir non pas "contre la Catalogne mais pour empêcher qu'on abuse de la Catalogne", en décrivant les dirigeants indépendantistes comme "une minorité qui de façon intolérante (...) prétend faire passer tous les Catalans sous le joug de sa doctrine" et embarquée dans "un voyage impossible vers une Ithaque qui n'existe pas".
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A 600 km au nord-est, à Barcelone, la coalition "Ensemble pour le oui" de Carles Puigdemont et le parti CUP (Candidature d'unité populaire, extrême gauche), ont présenté au parlement une résolution pour déclarer "la Catalogne comme Etat indépendant sous forme de République". L'opposition a annoncé qu'elle boycotterait la séance, alors qu'une grande partie des Catalans, au moins la moitié selon les sondages, veut rester dans le royaume d'Espagne. Reste à savoir si le camp indépendantiste est assez soudé pour voter cette déclaration.
Les partis séparatistes - allant de l'extrême gauche au centre droit - sont majoritaires en sièges (72 sur 135) au parlement régional depuis septembre 2015. Ils présentent comme un "mandat" les résultats - invérifiables - du référendum d'autodétermination interdit du 1er octobre, qui avait été émaillé de violences policières: 90% de "oui" à la sécession, avec 43% de participation. "Notre responsabilité, c'est d'obéir au mandat populaire, il n'y a pas d'autre issue", a ainsi déclaré le député Albert Botran, du petit parti d'extrême gauche indépendantiste CUP.
Jeudi, Puigdemont avait renoncé in extremis à convoquer des élections anticipées dans sa région, décevant amèrement ceux qui espéraient que cela ouvrirait un espace pour l'apaisement. Il avait accusé Madrid de ne lui avoir donné "aucune garantie" que s'il convoquait ce scrutin, l'article 155 ne s'appliquerait pas. Une fois la mise en oeuvre de l'article votée par le Sénat, le gouvernement de Rajoy décidera du moment de la mise en oeuvre des décisions. Certaines, en particulier la destitution du gouvernement catalan, devraient arriver très vite, dans les heures qui suivront.
La prise de contrôle par Madrid risque d'entraîner une forte résistance - se voulant pacifique - en Catalogne, une région très attachée à son autonomie, récupérée après la fin de la dictature franquiste (1939-1975). Les puissantes associations indépendantistes ANC et Omnium Cultural ont lancé des appels à manifester devant le Parlement catalan dès vendredi matin, avec le slogan: "La République nous attend, il faudra la défendre".
La mise sous tutelle de la région pourrait contribuer à alimenter le ressentiment contre le Parti populaire (PP) de Rajoy, qui avait déjà obtenu que la Cour constitutionnelle rabote en 2010 le statut d'autonomie de la Catalogne. Beaucoup estiment qu'elle pourrait même renforcer l'indépendantisme. Le PP n'avait obtenu que 13% des voix dans la région aux dernières élections législatives de 2016.
La région, qui contribue à hauteur de 19% au PIB espagnol, fait face à une inquiétante fuite d'entreprises, 1.600 ayant déplacé leur siège social ailleurs depuis début octobre. La prolongation de la crise pourrait générer des retombées économiques très négatives pour la région comme pour le pays, 4ème économie de la zone euro.