Les craintes se sont renforcées cette semaine après des décrets de Donald Trump interdisant d'ici à 45 jours toute transaction "des personnes sous juridiction américaine" avec ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok, et Tencent, propriétaire de la plateforme WeChat.
Prises sous couvert de menace à la sécurité nationale, malgré l'absence de preuves tangibles, ces restrictions vont à l'encontre de l'idéal américain de longue date d'un internet global et ouvert et pourraient inciter d'autres pays à imiter les Etats-Unis, jugent des experts.
"C'est véritablement une tentative de fragmenter l'internet et la société globale de l'information selon une ligne de fracture américano-chinoise et d'exclure la Chine de l'économie de l'information", estime Milton Mueller, professeur à la Georgia Tech University et fondateur du Internet Governance Project.
Selon M. Mueller, cette démarche vise à "créer un pare-feu occidental", qui serait appliqué de manière globale via les sanctions économiques américaines et s'apparenterait au "Great Firewall" chinois -jeu de mots sur la "Grande Muraille" ("Great Wall") de Chine et le pare-feu ("firewall").
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Mais cela pourrait se retourner contre les géants de la Silicon Valley car "de nombreux gouvernements nationalistes dans le monde pourraient lancer les mêmes accusations contre Apple, Google, Facebook et Twitter" au sujet de l'usage des données personnelles, indique M. Mueller. "Ce sera la porte ouverte aux obstructions nationalistes et à la régulation de ces médias sociaux", prédit-il.
Les mesures décrétées cette semaine par Donald Trump s'inscrivent dans la lignée du projet "Clean Network" du département d'Etat, dont l'objectif est d'empêcher l'utilisation aux Etats-Unis d'applications et services chinois jugés "non fiables."
Cette initiative pourrait conduire à une situation confuse dans certains pays, qui seraient contraints de choisir entre l'écosystème chinois et américain, affirme l'analyste indépendant Richard Windsor.
"La fracture numérique entre la Chine et l'Occident s'agrandit et des pays coincés entre les deux (en Afrique et dans certaines parties de l'Asie) devront décider de quel côté ils veulent se placer", écrit M. Windsor sur son blog Radio Free Mobile.
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Pour Adam Segal, de l'organisation Council on Foreign Relations, les décisions américaines soulèvent la notion de "cyber-souveraineté", longtemps défendue par la Chine et combattue par les Etats-Unis. "Qu'un pays ait le droit de s'isoler de l'internet mondial en interdisant ou en limitant des technologies étrangères est vraiment une idée chinoise", note M. Segal. "Les Etats-Unis défendaient l'idée opposée", celle "d'un internet libre et ouvert", poursuit-il.
M. Segal observe que l'internet mondial était déjà "sur un terrain glissant" après les décisions de pays comme la Russie et l'Inde de limiter les flux de données. Mais les récentes mesures de Washington "sapent la capacité des Etats-Unis à promouvoir ces idées et il pourrait y avoir un retour de bâton contre les entreprises américaines", avertit le spécialiste.
Pour Daniel Castro, de la Fondation pour l'Innovation et les Technologies de l'Information, les menaces américaines feraient peser "un risque sérieux de morcellement de l'internet" si elles étaient menées à bien. "Les Etats-Unis doivent faire attention en affirmant qu'il y a un risque pour la sécurité nationale inhérent à l'utilisation de technologies d'entreprises étrangères", affirme M. Castro.
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"Si d'autres pays suivent la même logique, les entreprises américaines de la tech seront tenues à l'écart de nombreux marchés étrangers", explique-t-il.
D'autant que ces actions sont guidées par des craintes sécuritaires floues et par la croyance erronée qu'elles permettent de contrer la montée en puissance de la Chine, juge M. Mueller.
"L'administration Trump pense qu'elle peut ralentir le développement de la Chine en tant que puissance économique et technologique", fait remarquer l'expert. "L'idée qu'il est possible d'interrompre le développement de la Chine en coupant les ponts avec eux est stupide, cela ne va pas se produire", poursuit-il.