L’Académie suédoise a distingué l’écrivain de 64 ans pour «ses pièces de théâtre et sa prose novatrices qui ont donné une voix à l’indicible», citant «Septologien», un roman en sept chapitres et trois volumes, pas encore traduit.
Né le 29 septembre 1959 à Haugesund en Norvège, Jon Fosse est un écrivain touche-à-tout d’un accès peu facile pour le grand public. Romancier, poète, auteur de livres pour enfants, il fait partie des dramaturges vivants dont les pièces de théâtre sont les plus jouées dans le monde.
«J’ai été surpris quand ils ont appelé mais en même temps pas trop», a-t-il réagi auprès de la chaîne publique norvégienne NRK.
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«Je me suis prudemment préparé au fait que cela pourrait se produire ces dix dernières années. Mais croyez-moi, je ne m’attendais pas à avoir le prix aujourd’hui même s’il y avait une chance», a-t-il dit au téléphone.
Son nom circulant depuis une dizaine d’années dans les cercles littéraires, sa maison d’édition norvégienne Samlaget avait préparé un communiqué de presse avant l’annonce du Nobel. «Je suis bouleversé et reconnaissant», y dit Jon Fosse. «Je considère qu’il s’agit d’une récompense pour la littérature qui vise avant tout à être de la littérature, sans autre considération».
Quand il a appris la nouvelle jeudi, «il roulait dans la campagne, en direction du fjord au nord de Bergen en Norvège», a expliqué le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise, Mats Malm. Fosse a émergé comme dramaturge sur la scène européenne grâce à sa pièce de théâtre écrite en 1996 «Quelqu’un va venir», popularisée lorsqu’elle a été mise en scène par Claude Régy en 1999 à Paris. Son roman «La Remise à bateaux» (1989) lui gagne l’estime de la critique.
«Oeuvre immense»
Il grandit dans un milieu d’inspiration piétiste avec un grand-père quaker, pacifiste et gauchiste à la fois. Un piétisme dont le jeune Jon Fosse s’éloigne, préférant se dire athéiste et jouer de la guitare dans un groupe, Rocking Chair, avant finalement d’embrasser la foi catholique sur le tard, en 2013.
Après des études littéraires, il fait ses débuts en 1983 avec «Rouge, Noir», un roman où un jeune homme règle ses comptes avec le piétisme, mouvement protestant qui met l’accent sur la piété personnelle. Le style, marqué par de nombreuses projections dans le temps et une alternance des points de vue, deviendra sa marque de fabrique.
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«Son œuvre immense, écrite en nynorsk (l’une des formes écrites de la langue norvégienne, ndlr) et couvrant une grande variété de genres, se compose d’une multitude de pièces de théâtre, de romans, de recueils de poésie, d’essais, de livres pour enfants et de traductions», a estimé le jury. Le nynorsk, ou «nouveau norvégien», est une langue officielle mais minoritaire en Norvège - utilisée par environ 10% de la population- , créée au XIXe siècle et conçue à partir de dialectes ruraux.
Comme son illustre prédécesseur de la littérature nynorsk Tarjei Vessas, Fosse conjugue de fortes attaches locales, tant linguistiques que géographiques, avec des techniques artistiques modernistes, selon le jury.
«C’est par sa capacité à évoquer (...) la perte d’orientation, et la façon dont celle-ci peut paradoxalement donner accès à une expérience plus profonde, proche de la divinité, que Fosse est considéré comme un novateur», a détaillé Anders Olsson, président du comité Nobel pour la littérature.
S’émancipant des règles classiques, il fait fi de l’intrigue, réduite à un strict minimum, et recourt à une langue simple et dépouillée où la clé de compréhension est dans le rythme, la musicalité et les pauses.
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Son œuvre, qui rappelle celle du prix Nobel Samuel Beckett dont il est un grand admirateur, partage la vision pessimiste de ses prédécesseurs, dont Thomas Bernhard et Georg Trakl, selon la biographie de Jon Fosse publiée par l’Académie. Sans pour autant sombrer dans le nihilisme.
«Il y a une grande chaleur et un grand humour dans son travail», relève l’Académie. «Et ses fortes images de l’expérience humaine sont teintées d’une vulnérabilité naïve».
«Septologien», son dernier coup de maître qui a rendu le comité Nobel encore plus attentif à son travail, exploite la rencontre d’un homme avec une autre version de lui-même pour soulever des questions existentielles avec, comme toujours, une ponctuation parcimonieuse et imprévisible.
La dernière fois qu’un Nobel de la littérature a été attribué à un Norvégien remonte à 1928, lorsque l’écrivaine Sigrid Undset l’a obtenu. Jon Fosse est le quatrième Norvégien à recevoir le prestigieux prix.