Cette chronique ouvre une série de trois numéros consacrés à la question berbère en Algérie. Cette dernière s’y pose d’une manière très différente du Maroc où, depuis Idriss II, qui était arabe de père et berbère de mère, l’Etat-nation marocain a dépassé la question arabo-berbère. Même si, à l’évidence, des tensions très fortes et parfois même existentielles, ont marqué la longue histoire du pays.
En Algérie, la réalité est autre. J’ai déjà montré dans plusieurs chroniques que le fond du problème est celui de la jeunesse de l’Etat algérien. J’y reviens afin de bien en saisir la complexité.
Au moment de l’indépendance, la priorité des dirigeants algériens était d’empêcher l’éclatement du pays. Pour cela, il était essentiel de donner une cohérence à ses différentes composantes humaines rassemblées par la colonisation française. La nécessité de l’unité se fit alors à travers un nationalisme arabo-musulman niant la composante berbère du pays. Les dirigeants du FLN affirmèrent alors contre l’évidence, contre l’histoire et contre la toponymie, que l’Algérie est arabe. Plus encore, selon eux, la conversion des Berbères à l’islam les avait inscrits de manière irréversible dans l’aire culturelle de l’islam, donc de l’arabité.
Or, comme l’amazighité affirmait la double composante du pays, berbère et arabe, le parti FLN parla de dérive «ethnique», «raciste» et «xénophobe» menaçant de détruire l’État en construction. L’amazighe et la berbérité furent donc vus comme un danger pour l’unité nationale et comme une menace existentielle pour la survie de l’Etat algérien.
Voilà pourquoi, quelques semaines après l’indépendance, le 5 octobre 1962, Ahmed Ben Bella clama de manière véhémente: «Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes!!!» De son côté, Abderrahmane Ben Hamida, ministre algérien de l’Éducation nationale, déclara que «les Berbères sont une invention des Pères Blancs» et la chaire de kabyle de l’Université d’Alger fut supprimée. Dès lors, la légitimité du régime s’ancra sur la négation de son histoire et de sa composition ethnique, la revendication berbère étant présentée comme une conspiration séparatiste.
Déjà, durant la guerre d’Algérie, même quand ils étaient d’origine kabyle ou chaouie, les dirigeants du FLN avaient tout fait pour marginaliser les chefs berbères, allant jusqu’à liquider les plus gênants d’entre eux, comme Abane Ramdane ou Amirouche, et isolant les autres, comme Krim Belkacem ou Aït Ahmed. Ceci fit que les Kabyles et les Chaouis qui avaient mené la guerre contre la France se retrouvèrent, au lendemain de l’indépendance, citoyens d’une Algérie algérienne arabo-musulmane niant leur identité. Comme la nécessité de l’union contre la France les avait poussés à mettre entre parenthèses leur revendication identitaire, ils comprirent, mais un peu tard, qu’ils avaient laissé le champ libre aux jacobins arabophones.
Le problème fut encore compliqué par le fait que nombre de dirigeants partisans de la politique de l’arabité étaient des Berbères arabisés, à l’image de Houari Boumediene, de Chadli Benjedid ou encore de Liamine Zeroual. Et nous touchons là au cœur du problème qui est celui de l’arabisation des Berbères et sur lequel je reviendrai ultérieurement dans une chronique historique.