La mise en garde de Bouteflika contre le "chaos" va-t-elle dissuader les Algériens de manifester?

Lors d'une manifestation contre un 5è mandat de Bouteflika.

Lors d'une manifestation contre un 5è mandat de Bouteflika. . DR

Le président algérien a mis en garde jeudi contre une possible "infiltration" de la contestation, susceptible de provoquer le "chaos". Ceci intervient à la veille de nouvelles manifestations qui s'annoncent importantes contre le 5e mandat. "L'argument", va-t-convaincre? Rien n'est moins sûr.

Le 08/03/2019 à 09h11

Dans un message publié par l'agence de presse officielle APS, le président Bouteflika, tout en évitant d'aborder le rejet de sa candidature à l'élection présidentielle par les Algériens, appelle "à la vigilance et à la prudence quant à une éventuelle infiltration de cette expression pacifique par une quelconque partie insidieuse, de l'intérieur ou de l'extérieur, qui pourrait (...) susciter la Fitna (discorde, ndlr) et provoquer le chaos".

Evidemment, sans nommer ladite "partie insidieuse".

Confronté, depuis qu'il a annoncé sa candidature, à une contestation inédite depuis qu'il a été élu pour la première fois en 1999, Bouteflika aura à faire avec un troisième vendredi de mobilisation à travers le pays.

Et pour dissuader ses concitoyens de s'exprimer, il reprend les mêmes vieux arguments censés faire peur: la "tragédie nationale" de la décennie de guerre civile (1992-2002), le terrorisme et le risque de "la déferlante du Printemps arabe".

Ajoutez à cela les les "haineux à l'étranger" et les "cercles" qui "n'ont jamais cessé de conspirer contre notre pays" et le tour est joué.

Le fait est que, âgé de 82 ans, Bouteflika est affaibli par les séquelles d'un AVC qui l'ont empêché depuis 2013 de s'adresser de vive voix à ses concitoyens et ont rendu rares ses apparitions publiques.

Il est officiellement hospitalisé à Genève (Suisse) pour des examens médicaux et son retour n'était toujours pas été annoncé jeudi soir. Mais, pour son directeur de campagne, Abdelghani Zaalane, la santé de Bouteflika "n'inspire aucune inquiétude".

Ce n'est cependant pas ce que dit le très crédible journale suisse La Tribune de Genève. Le prétendant à un 5e mandat à la présidence de l’Algérie se trouve «sous menace vitale permanente» en raison de la dégradation de ses réflexes neurologiques, y lit-on.

D'ailleurs, les Algériens n'y croient pas non plus.

Jeudi, la contestation s'est poursuivie, notamment dans la capitale, où les manifestations, officiellement interdites depuis 2001, sont désormais quasi-quotidiennes.

Un millier d'avocats du barreau d'Alger se sont rassemblés jeudi devant le siège du Conseil constitutionnel qui étudie, depuis le 4 mars, les dossiers de candidature à la présidentielle, en réclamant qu'il invalide celle du chef de l'Etat.

Leurs confrères de Constantine, en grève depuis la veille, se sont aussi rassemblés devant le tribunal de la 3e ville du pays.

Plusieurs dizaines de journalistes -de médias privés et publics, de presse écrite et du secteur de l'audiovisuel- se sont également rassemblés pour le 2e jeudi consécutif sur la Place de la Liberté de la Presse, dans le centre d'Alger, pour protester à nouveau contre les "pressions" exercées selon eux par leur hiérarchie dans leur couverture du mouvement de contestation. 

Bouteflika a également perdu au cours des dernières 24 heures le soutien qui lui est habituellement acquis des trois importantes associations liées à la guerre d'indépendance dont il est un ancien combattant.

Des assemblées générales d'enseignants et étudiants ont également eu lieu jeudi dans plusieurs universités à travers le pays dans l'optique de mouvements de grève.

Et sur les réseaux sociaux, le hashtag "#Mouvement_du_8 mars" appelle à une mobilisation massive ce vendredi. 

Autant dire que la capacité de Bouteflika à convaincre les Algériens de ne pas sortir ce vendredi est très peu probable, d’autant plus qu'ils savent que le président en exercice (un euphémisme) n’est plus dans la capacité de dire quoi que ce soit.

Par Youssef Bellarbi
Le 08/03/2019 à 09h11