Dans les cuisines de l'hôtel Negresco, sur la Promenade des Anglais, la cheffe Virginie Basselot en raffole : "Pas forcément sur tous les plats", dit-elle, mais "c'est élégant et surtout, ça apporte un côté gustatif intéressant".
"On peut aller de parfums très doux, comme l'oeillet du poète, à des parfums très intenses, comme l'alysson maritime ou la capucine, où l'on est vraiment sur un goût de wasabi qui ne laisse pas insensibles les papilles", confirme Mireille Auda, 58 ans, dont l'exploitation maraîchère familiale s'est lancée en 2004 dans la fleur prête à manger.
"Notre métier premier, c'est de servir la restauration haut de gamme, dont les chefs ont toujours de l'avance sur les tendances. En échangeant avec eux, en voyant les magazines, on s'est dit Tiens, il y a une demande autour de la fleur", raconte l'agricultrice. Ses cagettes de fleurs sont expédiées vers la restauration et la grande distribution, et représentent 10% de son chiffre d'affaires.
"Ça reste une niche, pas un marché!", tempère-t-elle. "On l'a fait pour rajeunir notre image, mais pendant des années, on a perdu de l'argent. Les gros concurrents sont le Maroc et Israël".
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Selon Mme Auda, la région compte quatre ou cinq producteurs importants de fleurs comestibles: "Après, il y a une foule de petits producteurs avec des petites variétés plus difficiles à mettre en oeuvre, qui travaillent en circuit court et livrent les restaurants autour de leur exploitation".
Eve Vernice, 42 ans, est retournée au lycée horticole d'Antibes après avoir fait mille métiers. Elle fait partie de ces tout petits producteurs qui ont trouvé leur place dans l'écosystème du luxe propre à la Côte d'Azur, avec ses palaces et ses tables étoilées.
"J'y suis allée au culot!", dit-elle. Un jour, elle croque dans une gesse, fleur rose au goût de petit pois et a le coup de foudre. "Je me suis dit La beauté se mange! et j'ai changé mon projet".
Depuis sept ans, elle travaille sur deux hectares en pente loués à la commune de Menton, en récoltant autour de son cabanon juste après la rosée et avant les rayons du soleil. Sur une quarantaine de variétés à la carte, la majeure partie est sauvage: le climat de Menton est béni.
"J'ai des appels de plein de jeunes en France qui veulent faire ça, mais ça reste très virtuel, car ils n'ont pas la clientèle à côté et sont coincés. Ils doivent faire du mini-légume", dit-elle.
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"Quand j'ai démarré, c'était très difficile. Maintenant, on arrive vers des chefs plus jeunes qui ont envie de tout révolutionner et la fleur leur parle, parce que c'est subtil, raffiné et qu'une assiette, c'est d'abord le plaisir des yeux", ajoute-t-elle.
Longtemps terre d'élection de l'oeillet, cultivé sur d'anciens coteaux à vignes, la région de Nice a perdu 90% de ses exploitations horticoles en 50 ans et les surfaces cultivées ont fondu de 70%. Il ne reste qu'une centaine d'horticulteurs.
La fleur comestible, alors? "Ça ne va pas sauver la filière horticole, mais ça se développe", observe Aurélie Tourlourat, technicienne au Centre de recherche et d'expérimentation agricole méditerranéen (CREAM) de la Chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, aidé par le département.
Avec des chercheurs italiens et un financement européen, l'équipe a fait un inventaire des spécimens comestibles, analysé les rendements, les qualités gustatives, travaillé sur les itinéraires de production, les procédés de séchage, de stockage, de transformation.
Mangées fraîches, les fleurs peuvent aussi être cristallisées, servies en sirop, dans du sel, du sucre ou du beurre aromatisé. Un livre de recettes bilingue doit paraître, conçu avec des chefs de la Côte d'Azur et de la Riviera des fleurs côté italien.
Aurélie Tourlourat elle-même s'est chargée d'essais, notamment sur le bégonia: "Très acide comme le citron, ça se marie très bien avec du poisson, les gens adorent ou détestent!".