Le 7 octobre 2025, un accord militaire a été signé à Alger entre le ministre tunisien de la Défense, un ancien diplomate, Khaled Sehili, et le général Said Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne et ministre délégué de la Défense. La signature de cet accord a été annoncée par les médias algériens, mais sans évoquer son contenu réel, strictement réservé aux chefs d’Etat des deux pays, à leurs ministres de la Défense et aux chefs des services de renseignement tunisien et algérien.
Ni les élus ni la presse n’ont eu accès aux clauses détaillées de cet accord signé il y a deux mois et demi. Seule une présentation générale en avait été faite en son temps, se limitant à préciser le cadre d’une coopération bilatérale classique dédiée aux échanges d’informations, au renseignement, à la formation et aux manœuvres communes.
Si l’essentiel de l’accord est secret, ses motivations sont connues. Face à une contestation populaire de plus en plus massive, notamment celles du 17 décembre à Gabès ou de samedi dernier à Tunis, le président tunisien, Kaïs Saïed, sait que son fauteuil présidentiel vacille. Pour sauver son pouvoir, il s’est tourné vers l’Algérie, troquant une part de sa souveraineté contre une garantie de protection militaire face à une opposition grandissante, voire un éventuel coup d’État.
Le régime algérien s’est vite engouffré dans la brèche, soutirant d’humiliantes concessions au président tunisien et portant une atteinte flagrante à la souveraineté de la Tunisie. Par le biais de ce traité, la Tunisie semble être devenue une wilaya algérienne. Ce constat fait écho aux velléités affichées ces dernières années par les dirigeants algériens: le président Abdelmadjid Tebboune lui-même n’hésitait pas, lors d’une sortie récente, à déclarer que «l’Algérie et la Tunisie forment un seul et même Etat».
Le document divulgué par la chaine Zitouna TV prévoit ainsi dans son article 5, comme première et grave entorse à la souveraineté tunisienne, le droit accordé à l’armée et aux forces de sécurité algériennes de mener des incursions et des opérations militaires en territoire tunisien. Officiellement limitées à 50 kilomètres de profondeur, ces opérations viseraient à traquer des «terroristes», c’est-à-dire des opposants algériens en fuite, mais elles peuvent s’étendre jusqu’à la capitale tunisienne, en cas de besoin, comme une menace contre le régime de Kaïs Saïed.
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D’ailleurs, l’article 6 de l’accord militaire secret précise que l’intervention de l’armée et des agents des services de renseignement algériens peut s’étendre à la «protection des autorités légitimes du pays», en vue d’«assurer la continuité de l’Etat» tunisien, tout en procédant à la «neutralisation des fauteurs de troubles» (manifestants de l’opposition ou éventuels putschistes).
Cette ingérence militaire et sécuritaire peut intervenir à la demande exclusive, soit du président tunisien, de son Premier ministre ou de son ministre de la Défense, précise le document. D’ores et déjà, on peut affirmer que la présence de milliers d’agents algériens en civil parmi les manifestants pro-Saïed, jeudi dernier, n’est qu’une mise en œuvre du contenu de cet accord.
Ce pacte prévoit de surcroit qu’aucun des pays ne peut signer un accord militaire similaire avec une tierce puissance sans l’aval de l’autre. Il s’agit là d’une contrainte imposée à la Tunisie, puisque les termes de l’accord montrent clairement qu’il n’y a pas de réciprocité dans les obligations. Cette clause révèle la nature profonde de l’accord: un véritable diktat qui prive la Tunisie de son autonomie souveraine au profit des intérêts d’Alger. Le caractère contraignant apparait clairement au niveau des sanctions financières prévues en cas de non-respect ou de violation des termes de l’accord. Au cas où l’Algérie enfreint les règles, elle versera au Trésor tunisien la valeur de la sanction en devises.
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Mais pour la Tunisie, le dédommagement se fera en nature, sous forme de minerai (phosphate probablement) ou de produits agroalimentaires (hrissa et autres). Cette différence dans l’application des sanctions montre, elle aussi, comment la Tunisie est considérée par le régime algérien comme un simple vassal.
Les juridictions militaires des deux pays sont compétentes pour juger les dépassements commis par les militaires ou agents des renseignements des deux pays qui contreviendraient à cet accord, ce qui laisse entendre qu’en cas de tentative de putsch en Tunisie, les officiers tunisiens coupables peuvent être jugés à Blida et rejoindre le mouroir dans lequel des dizaines de généraux algériens croupissent actuellement. Bien évidemment, la divulgation du contenu de ce document secret a paniqué le président tunisien.
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Vendredi, il a organisé dans son bureau un semblant de briefing avec sa Première ministre, Sarra Zaâfrani, en vue de démentir formellement les révélations du média de l’opposition. En Algérie, seuls certains médias ont réagi à ces révélations, en rapportant le démenti de Kaïs Saïed.
Comme tout porte à croire que ces révélations sont avérées, cet accord va marquer un tournant dans la région maghrébine, où, pour la première fois depuis la période coloniale, un pays consent à céder des pans entiers de sa souveraineté à un autre Etat.
Pour l’Algérie, c’est la fin officielle de la (fausse) doctrine de non-intervention militaire en dehors de ses frontières, une doctrine que le général Said Chengriha a violée à plusieurs reprises. Que ce soit lors de son arrestation en 1976 à Amgala par les FAR ou plus récemment, lors de ses incursions dans le nord du Mali où son armée a abattu, en avril dernier, un drone militaire malien en vue de protéger des groupes terroristes. Sans parler de la création d’unités à la «Wagner» dont les finalités réelles au Sahel demeurent particulièrement opaques. Kaïs Saïed assujettit les dignes descendants d’Hamilcar et d’Hannibal, qui ont fait trembler la Rome antique, à un résidu de Kouloughlis à qui la France a donné au 19ème siècle un pays et des frontières. Une honte.








