Ce n’est pas totalement la faute du Président Macron si, au soir du 9 juin, la France avait déjà perdu la bataille de l’influence parlementaire. C’est aussi celle du mode de fonctionnement du Parlement, et, malgré eux, de Français ayant choisi d’élire une majorité de candidats antisystème (60% des élus français siègent dans les groupes d’opposition). Dans un Parlement européen aux mains d’une majorité tripartite PPE-Socialistes-Renew, dominatrice et exclusive (il n’est qu’à voir l’accord rondement mené sur les Top Jobs), cet éparpillement des voix et, in fine, des délégations françaises, aboutit surtout à ce que les intérêts français ne soient défendus nulle part.
Pendant ce temps-là, en Allemagne, la discipline des électeurs assure à la CDU/CSU une constante domination sur le groupe de la droite européenne et garantit à Manfred Weber, élu bavarois qui préside le PPE depuis dix ans, d’en garder le contrôle. En Espagne, un vote équilibré donne une forte délégation ibérique aux deux groupes qui se partagent l’essentiel du travail législatif (22 PPE / 20 S&D), et offre à Madrid la présidence du groupe socialiste. Comparativement, si la France est finalement parvenue à conserver la présidence du groupe Renew (par acclamation, puisque la candidate française était la seule en lice!), cette victoire est l’arbre qui cache la déforestation. Seulement six élus de la droite française siègent au PPE -premier groupe de l’hémicycle, qui cumule présidence du Parlement et présidence de la Commission, et va additionner en juillet les présidences de commissions parlementaires les plus importantes.
On n’efface pas une petite tache avec une grosse tache… ou comment la dissolution de l’Assemblée parlementaire française au soir d’une défaite du camp présidentiel aux Européennes impacte l’influence de la France en Europe. D’abord, car décidée au pire moment, elle mobilise les partis sur une campagne éclair, et les prive de l’occasion de se mobiliser pleinement, dans le court créneau offert aux États membres tous les cinq ans, pour placer leurs pions dans les institutions européennes. Aucun autre État membre ne s’impose jamais une telle entrave! Certains, telles l’Italie ou la Belgique, ont même pris la peine d’organiser simultanément les élections, européennes, locales, voire parlementaires -et ont un personnel politique renouvelé et disponible.
Ensuite, parce que ces élections législatives risquent d’imposer à la France une cohabitation affaiblissant tant la fonction présidentielle que la voix de l’exécutif à Bruxelles. Le premier test? La désignation du commissaire français. Vingt-sept portefeuilles doivent être répartis, un par État membre. Certains pays ont déjà désigné la personnalité qui sera soumise au président de la Commission européenne, puis à l’aval du Parlement, d’autres entament des discussions internes pour présenter le meilleur profil, pour le meilleur portefeuille... Pendant qu’à Paris, on se demande qui, du Président ou du Premier ministre, a compétence pour désigner le candidat commissaire! On est loin du temps où la France avait deux postes de commissaire, et pouvait, en période de cohabitation, envoyer à Bruxelles un commissaire de droite et une commissaire de gauche.
Enfin, selon l’élégante expression du Président Chirac que pourrait reprendre à son compte son successeur, «les emmerdes, ça vole toujours en escadrille». La France encourt l’ouverture probable d’une procédure de déficit excessif, entachant sérieusement sa crédibilité pour les mois qui viennent. En vertu du Pacte de stabilité et de croissance, les États membres doivent maintenir leur déficit public sous le plafond de 3% du PIB, et leur dette publique sous les 60% du PIB. Pour 2023, le déficit public de la France a atteint 5,5% du PIB, tandis que la dette publique s’établit à 110,6% du PIB. La décision d’ouvrir une procédure de déficit excessif sera proposée formellement le 16 juillet aux ministres des Finances européens, qui devront l’approuver à la majorité qualifiée lors d’un vote où le seul suspense repose sur le nom du ministre français!
La France devra présenter en septembre un «plan budgétaire et structurel national à moyen terme» précisant ses politiques et réformes à la nouvelle Commission qui, en réponse, lui adressera des recommandations pour réduire son déficit public. Il semble prétentieux, dans un tel contexte, d’imaginer un commissaire français au poste de vice-président disposant d’un large portefeuille économique! Les recommandations de la Commission devront finalement à leur tour être adoptées par le Conseil de l’UE, en décembre 2024… Une annus horribilis pour l’influence française à Bruxelles!