C’est donc désormais gravé dans le marbre administratif, tamponné, daté et publié. Le Journal officiel, ce cimetière feutré des carrières diplomatiques ratées, a acté le 25 décembre ce que tout Alger savait déjà depuis des semaines: Kamel Bouchama n’est plus ambassadeur d’Algérie au Liban. Le décret présidentiel, signé le 10 décembre 2025, mais soigneusement publié avec un léger décalage, comme on repousse une mauvaise nouvelle familiale, met officiellement fin à ses fonctions à compter du 9 octobre. Une mesure tardive, embarrassée, presque honteuse, prise à reculons, tant elle trahit le malaise d’un pouvoir qui aurait préféré que l’affaire se dissolve d’elle-même dans l’oubli. Mais voilà, les mots ont une mémoire, et les archives aussi.
Retour donc sur un récit qui, à Alger, aurait mérité d’être classé au rayon tragicomique de la diplomatie contemporaine. Le 23 septembre 2025, à Beyrouth, lors d’une conférence culturelle au titre délicieusement ironique «Liban et Algérie: histoire rayonnante et présent lumineux», Kamel Bouchama décide d’improviser. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. Dans un discours interminable, truffé de chiffres fantaisistes, de glorifications creuses et de digressions confuses, l’ambassadeur algérien se transforme soudain en chroniqueur de bistrot géopolitique. Donald Trump, président des États-Unis, y est tour à tour qualifié de «débile», de «cowboy» et de pensionnaire idéal pour un asile psychiatrique. Des propos non seulement déplacés, mais indignes d’un ambassadeur tenu, en principe, à un minimum de retenue, de réserve et, accessoirement, de bonnes manières.
La polémique est immédiate. Les propos circulent, sont relayés, commentés, moqués. À Washington, on apprécie modérément. À Beyrouth, on se crispe. À Alger, on se tait. Le régime tente alors une manœuvre bien connue: faire passer l’inqualifiable pour une «opinion personnelle», comme si un ambassadeur cessait soudain d’incarner l’État dès qu’il s’approche d’un micro. Mais la ficelle est trop grosse. On ne représente pas un pays à l’étranger à temps partiel, et l’insulte n’est pas une note de bas de page diplomatique.
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Pourtant, Kamel Bouchama n’est pas un novice. Né en 1943, ancien ministre, diplomate chevronné, écrivain prolifique, il connaît parfaitement les codes, les usages et le poids des mots. Son parcours est celui d’un apparatchik cultivé, formé dans les arcanes du pouvoir algérien, rompu aux discours officiels et aux formules calibrées. Justement. Ce qui rend l’épisode encore plus accablant. Ce n’est pas un dérapage de débutant, mais une faute consciente, assumée, presque revendiquée. Le résultat d’un système où l’excès est encouragé, où la posture supplante la pensée, et où l’invective est devenue un instrument politique comme un autre.
La décision de l’écarter avait pourtant été prise dès octobre. Le 1er du mois, précisément. Mais là, pas de communiqué, pas de conférence de presse, pas même une ligne officielle. Le limogeage est annoncé à voix basse, par fuites organisées, dans le plus grand embarras. Comme si le régime avait honte non pas des propos, mais du fait qu’ils aient été entendus. Il aura fallu attendre le 25 décembre pour que l’acte soit enfin publié, transformant une sanction officieuse en réalité juridique.
Car il faut bien appeler les choses par leur nom. Ce genre d’agissement relève d’une diplomatie à hue et à dia, erratique, impulsive, incapable de se discipliner. Une diplomatie qui confond tribune internationale et café du commerce, qui croit exister par le vacarme et l’outrance, et qui finit invariablement par se ridiculiser. À Alger, on ne gère pas les crises: on les provoque, puis on se tue à les réparer, au prix de grandes humiliations.
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Le décret du 25 décembre ne concerne d’ailleurs pas uniquement Beyrouth. Il acte également la fin de fonctions de l’ambassadeur algérien aux Émirats arabes unis, Amor Fritah, dans un contexte d’attaques larvées mais bien réelles du régime d’Alger contre Abu Dhabi. À cela s’ajoute le limogeage du directeur de la communication et de l’information du ministère des Affaires étrangères, Mourad Kerbouche. Trois têtes tombent d’un coup, comme pour donner l’illusion d’un grand ménage de fin d’année.
Mais ne nous y trompons pas. Il s’agit là d’une tentative maladroite de réparer les pots cassés. Trop tardive, trop timide, trop cosmétique. La réputation de l’Algérie est faite, et elle l’est depuis longtemps. Ce n’est pas en changeant quelques visages que l’on corrige un problème structurel. Rien ne garantit que les remplaçants feront mieux, tant que la diplomatie algérienne restera prisonnière d’un système où l’improvisation tient lieu de stratégie et où l’insulte remplace l’argument.
Le cas Bouchama n’est pas une anomalie. Il est un symptôme. Celui d’un État qui confond communication et agitation, souveraineté et susceptibilité, et qui s’étonne ensuite de voir ses relations internationales se dégrader avec la terre entière. Le limogeage est acté, certes. Mais le mal, lui, est durable. Et il continuera de voyager, passeport diplomatique en poche, d’une chancellerie à l’autre.







