Le gouvernement mise sur deux aspects: un volet répressif pour «être dur avec les étrangers délinquants» dont il veut faciliter l’expulsion, a souligné le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin, alors que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français n’était que de 6,9% au premier semestre 2022. Et un volet intégration, en premier lieu pour «les gens qui travaillent», rappelle le locataire de la Place Beauvau.
L’arrivée massive de migrants sur l’île italienne de Lampedusa en septembre, puis l’assassinat d’un professeur par un jeune Russe, islamiste radicalisé, en octobre dans le nord de la France ont renforcé la conviction du gouvernement que ce texte est la bonne formule «pour la sécurité des Français», selon le ministère de l’Intérieur.
La France compte 5,1 millions d’étrangers en situation régulière, soit 7,6% de la population. Elle accueille plus d’un demi-million de réfugiés. Les autorités estiment qu’il y aurait de 600.000 à 700.000 clandestins.
Le texte «s’inscrit dans l’évolution des législations partout en Europe, qui tendent à renforcer les outils pour mieux maîtriser les flux migratoires», analyse auprès de l’AFP Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Il sera examiné par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale, alors que le paysage politique français est marqué par une montée en puissance du parti d’extrême droite Rassemblement national (RN). Selon un sondage publié fin octobre, sa candidate Marine Le Pen dépasserait la barre des 30% si le premier tour de la présidentielle était organisé maintenant, soit au moins sept points de plus que lors du premier tour de 2022.
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Régularisations
À gauche, «on peut en être sûr, personne ne votera ce texte régressif ni à l’Assemblée ni au Sénat», assure le sénateur communiste Ian Brossat.
À droite et à l’extrême droite, le texte soulève aussi des critiques, en particulier la mesure-phare de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les «métiers en tension», qui prévoit un titre de séjour d’un an renouvelable pour les salariés des secteurs en pénurie de main-d’œuvre.
«On ne peut pas expulser plus, tout en régularisant plus», dénonce le chef des sénateurs de droite Bruno Retailleau, qui n’aura «aucun problème» à voter contre le texte si cette mesure est maintenue.
D’autres mesures font débat comme la possible transformation de l’aide médicale d’État (AME) -qui couvre à 100% les frais de santé des sans-papiers présents sur le sol français depuis au moins trois mois- en aide médicale d’urgence.
L’AME est une cible historique de la droite et de l’extrême droite, qui l’accusent de générer un «appel d’air» pour l’immigration clandestine et de coûter trop cher -actuellement 1,2 milliard d’euros annuels pour 400.000 bénéficiaires. Mais son projet de limitation fracture la majorité présidentielle, tandis que de nombreux soignants y voient un «non-sens pour la santé publique».
Pour adopter le projet de loi, le gouvernement, qui négocie avec la droite, espère ne pas avoir besoin de recourir à l’article 49-3 de la Constitution, qui permet de passer un texte en force, sans vote du Parlement, l’exécutif engageant sa responsabilité. Mais cela s’annonce difficile.
Esclavage moderne
Dans ce contexte tendu, les immigrés interrogés par l’AFP retiennent leur souffle, face à un projet de loi qu’ils jugent «stigmatisant». «C’est très difficile d’entendre que les immigrés viennent pour profiter des aides, des allocations. C’est un gros mensonge», souligne Mody Diawara, un Ivoirien de 38 ans qui travaille dans le BTP: «Retenez qu’on travaille dur. On bosse ou on crève, c’est ça la réalité!»
«La loi m’inquiète vraiment», explique de son côté Aboubacar Dembélé, 31 ans, porte-parole des sans-papiers grévistes du groupe de livraison de colis Chronopost en région parisienne.
«Le ministre Darmanin a déjà dit que la régularisation (dans les) métiers en tension n’ouvre pas de nouveaux droits. C’est une carte d’un an, sans possibilité de regroupement familial. Et si tu ne travailles plus dans ce genre de métier, tu perds ton titre. Alors qu’on peut avoir d’autres compétences, d’autres envies. Ça nous enferme, c’est de l’esclavage moderne», dit-il. «On veut être régularisés (...) On contribue à la société, on paye des impôts. On ne demande pas un privilège, juste notre droit», juge le jeune Malien.