Juché sur un bus devant son domicile d’Istanbul, sur la rive asiatique du Bosphore, le président de 69 ans, dont 20 au pouvoir, avait revendiqué la victoire en début de soirée devant une mer de drapeaux rouges brandis par une foule enthousiaste. «Notre nation nous a confié la responsabilité de gouverner le pays pour les cinq prochaines années», a-t-il lancé au terme d’une élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.
De retour à Ankara au cœur de la nuit, fêté par une foule de dizaines de milliers de partisans qui l’attendait depuis des heures devant le palais présidentiel, le chef de l’Etat n’a pas manqué de faire huer son adversaire malheureux, Kemal Kiliçdaroglu. Avant d’estimer qu’il «est temps de mettre de côté les disputes de la campagne électorale et de parvenir à l’unité et à la solidarité autour des rêves de notre nation».
«La Turquie a gagné!», a-t-il lancé entre deux portraits géants projetés sur la façade monumentale: le sien et celui de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République qui célèbre cette année ses cent ans. Selon les résultats quasi définitifs, le chef de l’Etat a obtenu 52,16% des suffrages contre 47,84% au candidat social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu qui, à 74 ans, a perdu le pari de la «démocratie apaisée» qu’il promettait.
Rassemblements spontanés
Dans la soirée, des rassemblements spontanés se sont formés autour du siège de son parti AKP à Istanbul, et des scènes de liesse ont eu lieu à travers le pays, ainsi que dans plusieurs grandes villes européennes, dont Berlin, où vit une importante communauté turque.
Le président russe Vladimir Poutine, qui n’avait pas caché son soutien au président, a rapidement salué un «résultat logique» de même que le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a dit espérer «renforcer ses liens avec Ankara». Le président français Emmanuel Macron a également «félicité» M. Erdogan, suivi par le chancelier allemand Olaf Scholz et les responsables de l’Union européenne Ursula Von der Leyen et Charles Michel, notamment.
Le candidat malheureux Kemal Kiliçdaroglu a pris la parole depuis le siège de son parti, le CHP fondé par Mustafa Kemal, pour exprimer sa «réelle tristesse face aux difficultés qui attendent le pays». Ni le désir de changement d’une partie de l’électorat, ni l’inflation sévère qui mine la Turquie, ni les restrictions aux libertés et l’hyperprésidentialisation d’un pouvoir qui a envoyé des dizaines de milliers d’opposants derrière les barreaux ou en exil n’ont pesé face au désir de sécurité et de stabilité.
Campagne déséquilibrée
«Erdogan a joué la carte du nationalisme avec beaucoup d’habileté, l’opposition n’a pas su proposer une alternative susceptible» de convaincre, malgré la mauvaise situation économique du pays, a estimé Galip Dalay, chercheur associé Middle East Council on Global Affairs.
Le parti du président Erdogan, l’AKP islamo-conservateur, sur lequel il a bâti son accession au pouvoir suprême, a perdu des sièges au Parlement mais conserve sa majorité avec ses alliés. Kemal Kiliçdaroglu encaisse quant à lui une défaite de plus après avoir promis le «retour du printemps».
Considéré par beaucoup, y compris au sein de son alliance d’opposition, comme terne et sans charisme, M. Kiliçadaroglu n’a pas su profiter de la crise économique pour rafler la victoire. Durant la campagne électorale, il a été largement privé d’accès aux grands médias et surtout aux chaînes de télévision officielles, qui ont réservé 60 fois plus de temps d’antenne à son rival, selon l’organisation Reporters sans frontières.