Pour ce nouveau face à face, Recep Tayyip Erdogan part après le premier tour avec une avance de cinq points (49,5%) et 2,5 millions de voix sur son rival, le social-démocrate Kemal Kilçdaroglu (45%), à la tête d’une alliance disparate de six partis allant de la droite nationale à la gauche.
Les derniers sondages -qui s’étaient toutefois trompés avant le premier tour- accordent d’ailleurs une avance similaire de cinq points au chef de l’Etat. En dépit de cette arithmétique à priori favorable au président au pouvoir depuis vingt ans, reste une inconnue: les 8,3 millions de voix qui ne se sont pas exprimées lors du premier tour, malgré une participation de 87%.
Déjà, la diaspora qui a pu voter jusqu’à mardi soir s’est davantage déplacée avec 1,9 million de bulletins contre 1,69 million. Outre les abstentionnistes, les deux camps ont courtisé depuis le 14 mai les ultranationalistes, dont le troisième homme du premier tour, Sinan Ogan, qui a recueilli 5% des suffrages exprimés et a finalement rejoint Erdogan. Mais le poids de ces extrêmes a joué sur la tonalité de la campagne.
Kiliçdaroglu, candidat martial
Manifestement sidéré par une défaite qu’il n’avait pas anticipée, Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, a disparu des écrans au lendemain du 14 mai pour réapparaitre au quatrième jour, réinventé en candidat martial. Finis les sourires, les cœurs avec les doigts qui ponctuaient ses meetings, place à la mine et au poing fermés pour annoncer l’expulsion des réfugiés syriens «dès le lendemain de la victoire». Une menace réitérée quelques jours plus tard, quand il a promis que la Turquie ne deviendrait pas « un dépôt de migrants ».
Depuis, le candidat a adouci son propos envers les Syriens et sommé l’Europe de payer son dû: «Nous nous débattons avec ces problèmes pour ménager le confort de l’Europe, nous allons y remédier vous verrez» a-t-il devant des jeunes. La Turquie, avec au moins 3,4 millions de réfugiés syriens (selon les données officielles) et des centaines de milliers d’Afghans, d’Iraniens et d’Irakiens est le premier pays d’accueil au monde.
Fake news et propos insultants
En face, Tayyip Erdogan, 69 ans, stimulé par le résultat du premier tour, a enchainé les meetings -jusqu’à trois par jour le weekend dernier- dénonçant à longueur d’estrade les «terroristes» du camp adverse, coupables du soutien que lui a accordé le parti pro-kurde HDP et les «LGBT» qui attaquent les valeurs fondamentales de la famille. «Hier encore, ils adoraient les terroristes», a encore lancé le président à l’encontre de l’opposition.
«Je suis les campagnes électorales depuis des décennies, je n’ai jamais vu autant de “fake news”, de propos aussi insultants, homophobes», constate Can Dündar, ancien rédacteur en chef du quotidien de centre-gauche Cumhuriyet, en exil à Berlin, qui regrette que l’opposition n’ait pas «apporté de réponse appropriée ni appelé à un minimum de respect».
Menderes Cinar, professeur de Sciences politiques à l’université Baskent d’Ankara, s’afflige même d’une «opposition incapable de présenter sa vision de l’avenir pour la Turquie, s’appuyant uniquement sur les échecs du gouvernement et du président».
«Mais même si les électeurs ne sont pas d’accord avec certains partis de la coalition, ils ne peuvent s’offrir le luxe de ne pas voter», estime-t-il. Ce que le HPD pro-kurde a bien intégré. Malgré les attaques répétées et surtout malgré l’alliance de Kiliçdaroglu avec une minuscule formation ultra-réactionnaire et xénophobe, le parti a renouvelé jeudi son appel à voter pour Kiliçdaroglu.
Sur Twitter vendredi, l’une des figures du HDP, Selahattin Demirtas, emprisonné depuis 2016, a réitéré son appel depuis sa cellule: «Il n’y a pas de troisième tour dans cette affaire! Faisons de M. Kiliçdaroglu le président, laissons la Turquie respirer. Allez aux urnes, votez!»