«Avant, il n’y avait rien ici (…) c’était complètement désert», se souvient Chang Yongfei, natif de la région de Mongolie intérieure. Ancien travailleur du charbon, pilier historique de l’économie locale, il s’est reconverti depuis.
À 700 km de Pékin, ces centaines de milliers de panneaux incarnent l’ambition énergétique de la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre.
Le dirigeant Xi Jinping s’est engagé mercredi à réduire les émissions nettes du pays de 7 à 10% d’ici 2035, dans un discours vidéo prononcé à un sommet spécial de l’ONU à New York.
Les installations solaires dans les déserts et zones arides constituent un maillon clé de cette stratégie: l’équivalent du triple de la capacité électrique totale de la France doit y être installé entre 2022 et 2030, selon un document de planification.
Des images satellites analysées par l’AFP confirment un déploiement fulgurant du photovoltaïque dans les grands déserts chinois au cours de la dernière décennie.
À Ordos, dans le désert de Kubuqi, visité par une équipe de l’AFP, plus de 100 km² de sable ont déjà été recouverts de panneaux solaires — soit la superficie de la ville de Paris.
Mais ce choix n’est pas sans défis: les tempêtes de sable peuvent endommager les installations, et les températures extrêmes réduisent l’efficacité des cellules. L’accumulation de sable nécessite par ailleurs une grande quantité d’eau pour le nettoyage, dans des zones naturellement arides.
Pour y répondre, les panneaux utilisés à Kubuqi sont équipés de ventilateurs capables de se nettoyer automatiquement et reposent sur une technologie bifaciale qui capte également la lumière réfléchie par le sable, selon les médias officiels.
Spot touristique
La distance entre les déserts et les grands centres de consommation constitue un autre obstacle.
Les centrales solaires du Kubuqi visent à alimenter les provinces de Pékin, Tianjin ou du Hebei, situées à des centaines de kilomètres au sud.
«Il existe un risque réel de congestion sur les lignes de transmission», note David Fishman, associé principal du cabinet de conseil Lantau Group. Pour cette raison, plusieurs provinces, dont la Mongolie intérieure, «restreignent l’approbation de nouveaux projets», ajoute-t-il.
Autre difficulté: la cohabitation avec le tourisme, en plein essor dans le désert de Kubuqi, stimulé par les vidéos d’expéditions en quad ou de balades en dromadaires.
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Au volant de son 4x4, Chang Yongfei mise désormais sur cette activité pour vivre. Ses huttes panoramiques au milieu des dunes, situées à quelques pas du champ solaire, connaissent un grand succès sur les réseaux sociaux.
«Cette transition (énergétique) a été très bonne pour la région», reconnaît ce père de famille de 46 ans, tout en confiant son inquiétude: voir le champ solaire engloutir tout le désert et, avec lui, la manne touristique.
«Mais je fais confiance au gouvernement pour nous en laisser une petite partie», glisse-t-il.
Maintien du charbon
D’autres observateurs rappellent que l’essor du solaire ne signifie pas l’abandon du charbon, notamment en Mongolie intérieure.
La Chine a mis en service au premier semestre 2025 des capacités de production d’électricité au charbon inédites depuis 2016, selon un rapport du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA) et du Global Energy Monitor (GEM).
Autour de Kubuqi, les camions noircis par la suie, les trains interminables chargés de houille et les hautes cheminées fumantes témoignent de la vigueur persistante de cette industrie.
Tant que le charbon «continue de jouer un rôle dans le système énergétique chinois, il constitue en réalité un obstacle structurel à l’expansion de l’énergie éolienne et solaire», écrivait en juin l’ONG Greenpeace.
Le déploiement massif de champs solaires dans les déserts suscite aussi des interrogations sur leurs effets climatiques, souligne Zhengyao Lu, chercheur à l’université de Lund.
Selon ses modélisations, l’absorption de chaleur par ces vastes surfaces sombres pourrait modifier les flux atmosphériques et entraîner «des effets secondaires négatifs, par exemple une réduction des précipitations» dans certaines régions.
Il recommande donc un «développement plus intelligent, localisé et organisé, combinant production énergétique et préservation écologique».
Mais pour l’instant, conclut-il, les risques du solaire «restent bien moindres que ceux liés au maintien des émissions de gaz à effet de serre».








