L'armée égyptienne, épine dorsale du régime politique, joue un rôle économique important depuis des décennies, ses usines produisant des pâtes, de l'eau minérale ou encore du ciment. Elle a construit des autoroutes et contrôle des stations-service.
Mais depuis l'arrivée de Sissi, lui-même ancien chef de l'armée, élu président un an après avoir destitué l'islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, l'armée a franchi une étape supplémentaire.
Ces derniers mois, l'Egypte s'est retrouvée confrontée à une grave pénurie de devises étrangères. En même temps que la raréfaction du dollar, les prix ont grimpé et certains produits ont disparu des rayons des supermarchés.
Ainsi, en août, une pénurie de lait infantile a entraîné une hausse des prix, poussant les mères égyptiennes à manifester. L'armée a alors annoncé qu'elle allait importer le produit, pour le vendre à moitié prix aux consommateurs.
L'institution accusait les compagnies qui importent le lait infantile d'entretenir un "monopole" pour pouvoir "augmenter son prix sur le marché".
Toujours en août, le ministère de la Production militaire et le ministère de la Santé ont signé un accord avec la première usine égyptienne de fabrication de médicaments destinés à soigner le cancer.
Par ailleurs, les ingénieurs de l'armée ont été étroitement associés à la politique de relance économique. Ils ont participé au creusement d'une seconde voie du canal de Suez, un des projets phares du président, ou encore à la construction de centaines de logements sociaux.
"Il y a eu un changement: l'armée cherche à augmenter ses parts dans de nouveaux secteurs économiques", affirme Amr Adly, professeur d'économie à l'Université américaine du Caire, qui confirme que "le rôle économique de l'armée s'est élargi, sans que ce soit un monopole".
Difficile toutefois d'évaluer l'ampleur des activités économiques de l'institution, la loi interdisant la publication de toute information ou détail concernant son budget.
"Des groupes d'intérêts au sein de l'armée ont vu une chance à saisir pour des activités lucratives", souligne de son côté Yezid Sayigh, du Carnegie Middle East Centre.
"Si le président Sissi a chargé l'armée de jouer un rôle important dans les grands projets publics, c'est en raison de la détérioration des institutions civiles de l'Etat, incapables de mener à bien leurs missions", estime M. Sayigh. "L'armée comble un vide".Si elle étend ses activités dans l'économie égyptienne, l'armée n'y représente pourtant qu'une part minoritaire.
"A l'exception de la construction des routes, où l'armée dispose d'une part de marché de 7% ou 8% - et c'est une part conséquente - les militaires n'ont pas de parts importantes dans d'autres secteurs", rappelle M. Adly.
"Même s'ils ont des stations essence, ils ne peuvent pas concurrencer une compagnie comme Total. Et même s'ils produisent de l'eau minérale, leurs parts sont très faibles sur ce marché, dominé à 70% par Nestlé", ajoute-t-il.
Pour M. Sayigh, si l'armée a réussi à renforcer son rôle économique, c'est grâce à son retour en force sur le devant de la scène politique, après la révolte populaire de 2011 qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir.
Avant sa chute, les militaires étaient éclipsés par les hommes d'affaires proches de Gamal Moubarak, le fils cadet du raïs pressenti pour prendre sa relève.
"Sous Moubarak, l'armée avait une place de choix, sans être un joueur essentiel ou un décideur politique ou économique", résume M. Sayigh.
Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, les activités économiques de l'armée suscitent des critiques, notamment sur la gestion des fonds.
"Il n'y a pas une seule livre (égyptienne) que prend l'armée qui va dans la poche de quelqu'un", a rétorqué récemment le président Sissi. "Rien n'est dépensé sans mon accord ou celui du ministre de la Défense", a-t-il assuré.