Au lendemain du dépôt officiel de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika, la diaspora algérienne, qui s'est rassemblée par milliers deux dimanches d'affilée place de la République à Paris pour dire "non" à un 5ème mandat du président de 82 ans, scrute une éventuelle réaction des autorités françaises.
"Où est la France ?", s'interroge à voix haute Mehdi, Franco-Algérien de 28 ans. Attablé à la terrasse d'un café dans un quartier du nord de Paris, le jeune homme, qui ne donne pas son nom de famille par peur de "représailles" sur sa famille "au bled", dit son "dégoût" pour "cette mafia sans foi ni loi" au pouvoir en Algérie et espère "une réaction forte" de Paris.
"On nous bassine toute la journée sur la patrie des droits de l'Homme mais quand il faut agir, y'a plus personne", dénonce-t-il. "Quand c'est le Venezuela, là c'est Macron lui-même qui intervient", abonde Samira, Franco-Algérienne de 32 ans.
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Début février, le président français Emmanuel Macron avait annoncé que la France reconnaissait l'opposant Juan Guaido comme "président en charge" du Venezuela, après l'expiration d'un ultimatum à Nicolas Maduro qui avait refusé de convoquer une nouvelle élection présidentielle.
"La France et l'Algérie partagent beaucoup de choses. C'est le devoir de la France de soutenir les Algériens en parlant car sa parole est forte. Ce serait un espoir pour le peuple algérien qui n'en peut plus", estime Samira.
Attablé à quelques mètres, Lounès a entendu parler ses voisins, s'en étrangle presque, et surgit dans la conversation: "C'est une affaire qui concerne le peuple algérien, pas la France !", clame-t-il.
Originaire de Kabylie, région historiquement frondeuse, cet homme né en 1952, qui raconte avoir encore en mémoire la sanglante guerre d'indépendance (1954-1962), refuse toute "ingérence" de la part de l'ancienne puissance coloniale.
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"Il faut savoir ce que l'on veut, parce qu'on ne peut pas d'un côté vouloir notre indépendance et de l'autre, dès qu'il y a un problème attendre, que la France nous livre la solution", dit-il en s'adressant à Mehdi.
"Je suis d'accord", répond timidement Mehdi, "mais la voix de la France a un impact dans le monde. Je dis que ça pourrait aider la cause", plaide-t-il sous le regard désapprobateur du sexagénaire.
"La question c'est: est-ce qu'on peut faire confiance à un pays qui promettait le savoir-faire français dans le maintien de l'ordre à Ben Ali (l'ex-président tunisien chassé par la rue en 2011)?", glisse Toufik, venu avec Lounès.
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Retraité de l'Education nationale algérienne, cet homme aux cheveux grisonnants, originaire des Aurès (est), ne mâche pas ses mots contre le pouvoir à Alger, "des voleurs", mais voit d'un mauvais oeil toute intervention française.
"Pour moi, la France et l'Algérie ont des intérêts opposés. La France veut de la stabilité, ce que lui apporte le régime actuel, et les Algériens veulent un avenir, du travail... du changement.", assure-t-il. "Il n y a rien à attendre de la France. Pour moi, c'est un piège dans lequel il ne faut pas tomber", dit de son côté Lounès.
Omniprésente dans la conversation de ces Algériens, la France a pour l'heure réagi a minima aux événements qui secouent l'Algérie depuis l'annonce le 10 février de la candidature à un 5ème mandat du président Bouteflika, victime d'un accident vasculaire cérébral l'ayant considérablement affaibli en 2013. Il est depuis pratiquement invisible.
A Paris, le ministère des Affaires étrangères a dit lundi avoir "pris note de la candidature du président Bouteflika". "C'est au peuple algérien qu'il appartient de choisir ses dirigeants et de décider de son avenir", a-t-il ajouté.
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La France s'inquiète avant tout des possibles répercussions d'une déstabilisation de ce pays-continent de 41 millions d'habitants. Avec sa frontière de plusieurs milliers de km avec le Mali, le Niger et la Libye, l'Algérie est un acteur clé dans la lutte contre le jihadisme au Sahel.
"Avec ou sans la France, les Algériens ne lâcheront rien, et nous non plus en France", conclut Mehdi, cette fois sous le regard bienveillant de Lounès.









