Quand la Russie a envahi l’Ukraine, un nouveau rideau de fer a sectionné des liens jusque-là étroits entre Moscou et Helsinki: Ari Joronen le constate de ses propres yeux dans sa ferme jouxtant la frontière russo-finlandaise. «Les arbres ont été abattus pour construire la nouvelle clôture sur la frontière», explique l’agriculteur sur sa propriété d’Imatra, en montrant la coupe claire à vingt mètres en contrebas.
La Finlande, qui vote dimanche pour des élections où la Première ministre Sanna Marin joue son avenir, a dévoilé en novembre un plan pour construire une vaste clôture sur 200 des quelque 1.300 kilomètres de sa frontière -largement inhabitée- avec la Russie.
Même au temps de la Guerre froide, un tel mur n’existait pas: le pays nordique, après sa défaite contre l’URSS à la sortie de la Seconde guerre mondiale, avait dû se soumettre à une neutralité forcée sous l’oeil de Moscou. Après l’implosion de l’URSS en 1991, l’ex-grand duché russe (1809-1917) avait cru à une nouvelle ère positive avec son puissant voisin. Une ère dans laquelle Helsinki s’imposerait comme un espace d’échanges diplomatiques et économiques entre Russie et Occident.
«La guerre en Ukraine, un tournant»
Si proche de la Russie qu’on peut entendre un de ses champs de tir, la ferme d’Ari Joronen n’en était jusqu’ici séparée que par une légère palissade de bois, essentiellement destinée à éviter les passages de bétail. Cet été, elle fera place à une barrière d’acier de trois mètres de haut. L’ensemble du projet de 200 kilomètres doit, lui, être terminé d’ici 2026. «C’est bien pour l’avenir. A un moment donné, nous en aurons probablement besoin», estime l’agriculteur.
L’érection d’un mur n’est qu’un aspect du revirement de la Finlande qui s’apprête, possiblement dès les prochains jours, à devenir le 31e membre de l’Otan. Plus d’un siècle après son indépendance de la Russie et 28 ans après son entrée dans l’Union européenne, le pays nordique de 5,5 millions d’habitants et 337.000 km2 ouvre un nouveau chapitre.
«La guerre en Ukraine a été un tournant», explique Johanna Vuorelma, chercheuse à l’Université d’Helsinki. «Les Finlandais ont dû repenser leur relation à la Russie». Le gouvernement qui émergera des élections du 2 avril sera celui qui franchira le pas.
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Atypique en Europe par la masse de réservistes mobilisables, l’armée finlandaise peut décupler en temps de guerre pour atteindre 280.000 soldats prêts au combat. Sur l’île militaire de Santahamina, verrou stratégique de la baie d’Helsinki, de jeunes réservistes chargent leurs fusils d’assaut par -15°C et une aveuglante couche de neige.
Traumatisme historique
Pour Aleksi Heino, qui étudie pour devenir ingénieur, la guerre en Ukraine a apporté «un sens de la réalité» à son entraînement militaire. Selon les enquêtes d’opinion en Europe, les Finlandais sont les plus déterminés à défendre leur pays par les armes en cas de besoin.
«C’est un héritage de plusieurs décennies, peut-être de l’esprit de la Guerre d’Hiver», suggère le colonel Vesa Laitonen, qui dirige l’exercice. Clairsemées mais agiles dans le rude climat local, les forces du maréchal Mannerheim, données battues d’avance, avaient durant l’hiver 1939-40 transformé l’invasion soviétique en bourbier pour Moscou, un épisode fondateur auquel a été fréquemment comparé le scénario ukrainien.
Le président Sauli Niinistö, pourtant un des interlocuteurs les plus réguliers de Vladimir Poutine dans le passé, et la Première ministre Sanna Marin sont désormais parmi les voix les plus critiques de la Russie. Un contraste absolu par rapport à la «finlandisation» du temps de la Guerre froide, lorsque la classe politique d’Helsinki évitait tout mot de travers vis-à-vis de Moscou.
Après la fin de la Guerre froide, la Finlande avait aussi privilégié sa «relation spéciale avec la Russie», avec notamment le développement économique et les échanges transfrontaliers. Un choix «de l’économie d’abord» qui a consisté à «regarder ailleurs concernant les évolutions négatives en Russie», comme l’émergence de l’autoritarisme poutinien, note Mme Vuorelma.
Aujourd’hui, beaucoup de Finlandais se sentent «trahis» avec un optimisme post-Guerre froide qui a «complètement disparu», souligne la chercheuse. Comme beaucoup d’habitants de la région, Ari Joronen se rendait régulièrement en Russie pour le travail ou des courses. «Je n’y vais plus depuis le début de la guerre», explique-t-il.