Au moment où j’écris cette chronique, le Premier ministre slovaque Robert Fico se trouve entre la vie et la mort, suite à une tentative d’assassinat par arme à feu.
Dans ce moment où seules la condamnation et l’indignation sont de mise, un célèbre journal français que je ne nommerai pas, n’a rien trouvé de mieux que d’introduire son article par cette phrase, loin d’être dénuée de toute dimension idéologique: «Le dirigeant populiste, soutien de la Russie, a été touché par des tirs, évacué en urgence puis hospitalisé».
Une phrase qui, si elle avait été prononcée par n’importe quel organe de presse ne faisant pas partie des médias mainstream occidentaux, aurait été immédiatement qualifiée de complotiste. Un anathème totalement vidé de sa substance, depuis que les élites occidentales ont en fait leur narratif officiel, pour accuser la Russie de tous les torts.
Mais une autre manière de lire cette phrase serait d’y voir que c’est parce qu’il est pro-russe et populiste qu’il a été visé et que, désormais, le message est envoyé à tous ceux qui ne se plieront pas à l’agenda de l’Otan.
Un suspect a cependant été arrêté. Un écrivain slovaque de 71 ans politiquement de gauche. C’est tout ce qu’on sait à peu près à l’heure actuelle, si ce n’est qu’il a aussi été le fondateur d’un mouvement politique Hnutie proti nasiliu, soit «Mouvement contre la violence». Quelle ironie!
Mais qu’en est-il réellement? Et Robert Fico est-il réellement pro-russe?
Pour l’avoir suivi, plus au moins de près, depuis sa victoire aux législatives en septembre dernier, la seule chose que je puisse affirmer est qu’il est avant tout pro-Slovaquie. À ce propos, l’une des premières phrases qu’il a prononcées dès l’annonce de sa victoire fut : «La Slovaquie et ses habitants ont des problèmes plus importants que l’Ukraine». Ce qui, vous en conviendrez, est sans doute vrai dans l’absolu.
Autre reproche formulé par les europhiles ou les européistes -c’est au choix: sa décision de suspendre toute aide militaire à l’Ukraine, en gardant cependant l’aide humanitaire. Mesure que Fico justifie cette mesure par les propos suivants: « L’arrêt immédiat des opérations militaires est la meilleure solution pour l’Ukraine. L’UE devrait passer du statut de fournisseur d’armes à celui d’artisan de la paix». Rien de belliciste dans ces propos, bien au contraire.
Cependant, dans les époques de fortes tensions politiques et géopolitiques, les défenseurs de la paix payent en général un lourd tribut. Car leur pragmatisme et leur clairvoyance courcircuitent les calculs des centres de décisions et des lobbies qui ont, au contraire, tout intérêt à maintenir un schéma de conflictualité et de tension.
La liste est malheureusement longue, et l’on ne citera que quelques noms:
- Malcolm X, l’une des principales figures du Mouvement américain des droits civiques. Assassiné à Harlem lors d’un de ses discours.
- Mohamed Boudiaf, homme d’État algérien, assassiné lors d’une conférence, car partisan de la paix et de la réconciliation avec le Maroc, et opposé à la mafia militaire au pouvoir.
- Yitzhak Rabin qui, malgré son passé criminel à la tête de la brigade Harel du Palmach, un mouvement paramilitaire sioniste, a été l’un des grands initiateurs du processus de paix avec les Palestiniens, ayant abouti aux accords d’Oslo. Il fut tué par un fanatique d’extrême droite.
Comme il m’arrive de le dire souvent, c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. Et dans les moments de fortes tensions politiques et géopolitiques ou de tyrannie, s’opposer au courant dominant se fait souvent à vos risques et périls.
En attendant, nous ne pouvons que souhaiter un prompt rétablissement à Robert Fico, car les hommes d’État lucides et réalistes sont de plus en plus rares à notre époque. Quant aux faiseurs de guerre, notre époque en a malheureusement à revendre.