Depuis que le texte -dont aucune version officielle n'a été publiée- a été présenté en Conseil des ministres le 14 octobre, il est venu s'ajouter aux griefs des manifestants qui traitent depuis plusieurs mois leurs dirigeants de "voleurs" ayant "pillé" les richesses du pays.
Depuis février, l'Algérie, 3e producteur de pétrole d'Afrique et membre du Top 10 des producteurs mondiaux de gaz, est le théâtre d'un mouvement populaire inédit -le "Hirak"- de contestation du régime en place depuis son indépendance en 1962.
Une grande partie de la population soupçonne les différents clans au pouvoir, après avoir "dilapidé" la rente pétrolière, d'offrir cette fois le sous-sol aux sociétés étrangères, résume El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine.
"Les enquêtes témoignent de l'absence de crédibilité aux yeux de la population du gouvernement en place", rappelle-t-il.
Néanmoins, tout "laisse penser que dans ce nouveau projet de loi, le titre minier (droits sur le sous-sol, NDLR) reste tout de même entre les mains de l'Etat, tandis que l'exploitation et les opérations d'investissement pourront être davantage partagés", plus favorablement qu'avant pour les investisseurs étrangers, précise Mouhoud à l'AFP.
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Le projet de loi apporte des "ajustements" à la législation, mais "les grandes orientations de la politique algérienne en matière d'hydrocarbures ne sont absolument pas remises en cause", analyse de son côté Francis Perrin, directeur de recherche à l'Iris (Institut de Relations internationales et stratégiques, Paris).
Le texte, qui doit être soumis au vote jeudi, continue notamment de garantir au géant national des hydrocarbures Sonatrach, à 100% public, la majorité (51%) dans tous les partenariats.
Mais il vise à "rendre le cadre législatif et fiscal plus attrayant, plus simple et plus flexible pour attirer plus d'investissements (étrangers) dans le secteur des hydrocarbures", explique M. Perrin, également chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, basé à Rabat).
Concrètement, le texte élargit notamment la palette des types de contrats, en fonction des risques industriels, et remet à plat la fiscalité, avec notamment un taux fixe (30%) de l'impôt sur les résultats et la suppression de la "taxe sur les profits exceptionnels".
Pour El Mouhoub Mouhoud, la colère "s'est cristallisée" contre cette loi car "l'absence de légitimité de l'actuel gouvernement", nommé par le président Abdelaziz Bouteflika deux jours avant sa démission en avril sous la pression de la rue, "rend suspect tout ce qui peut venir de lui".
Dans ce contexte volatil, l'évocation, début octobre, par le ministre de l'Energie Mohamed Arkab, d'anciennes discussions avec cinq grandes compagnies pétrolières sur les changements législatifs nécessaires, a mis le feu aux poudres.
Traduction pour les contestataires: le texte a été dicté par les multinationales.
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Sonatrach elle-même a insisté en septembre sur l'urgence de redynamiser les partenariats avec les entreprises étrangères.
Car, depuis l'adoption de l'actuelle législation en 2005, et malgré des amendements en 2013, les sociétés étrangères se sont de moins en moins intéressées par l'exploration du sous-sol algérien et de nombreux appels d'offres ne trouvent pas preneurs.
Sonatrach assume donc seule les risques et investissements élevés, dans un contexte de cours bas, pour rechercher de nouveaux gisements, indispensables alors que la production algérienne d'hydrocarbures ne cesse de baisser et la consommation nationale d'augmenter.
Deux facteurs qui "pourraient conduire à un déficit de l'offre gazière par rapport à la demande" d'ici la prochaine décennie, souligne Francis Perrin.
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La nouvelle loi vise donc à permettre "en particulier de découvrir de nouveaux gisements, compte tenu de l'épuisement actuel", explique El Mouhoub Mouhoud: "C'est dans ce cadre-là que la fiscalité sur les hydrocarbures est amenée à être modifiée et la durée d'un contrat d'hydrocarbures prorogée de dix ans maximum".
Il pointe aussi du doigt "l'obsolescence" des infrastructures pétrolières en Algérie, faute d'investissements durant les années fastes, qui limite les capacités de Sonatrach.
Il y a une "prise de conscience" par les autorités de possibles "sérieuses difficultés à terme pour le pays", pour lequel les hydrocarbures représentent plus de 95% des recettes à l'exportation, note M. Perrin. "Cela dit, il est risqué politiquement pour un pouvoir dépourvu de la légitimité requise de s'attaquer à un sujet si sensible".
Pour Mouhoud, "les réformes économiques sont indispensables mais conditionnées à la mise en oeuvre d'une véritable transition politique".