Qui tient en main les services secrets algériens, détient la réalité du pouvoir dans le pays. Il y a tout juste une année, l’ancien chef d’état-major algérien, Ahmed Gaid Salah, procédait à un nettoyage de l’une de ces nombreuses écuries d’Augias qui empestent le champ militaro-politico-affairiste algérien. A la surprise générale, il envoyait en taule deux superpuissants généraux que d’aucuns étaient allés jusqu’à diviniser.
Mohamed Mediène dit Toufik, dont le non moins puissant département du renseignement et de la sécurité (DRS) a été démantelé, et Athmane Tartag, alias Bachir, qui l’avait remplacé à la tête du DRS rebaptisé Coordination des services de sécurité algériens, sont emprisonnés, jugés et condamnés à quinze ans ferme.
Dans la foulée, c’est le général-major Mohamed Kaïdi qui a été choisi pour diriger les renseignements algériens en tant que nouveau coordinateur des services de sécurité au ministère de la Défense, alors que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI – contre-espionnage) a été confiée à un autre général, Wassini Bouazza.
Or ces deux hommes, de la même façon qu’ils ont été promus simultanément il y a une année, viennent d’être «déchus», les 7 et 8 avril courant, par Abdelmadjid Tebboune qui, sans les renvoyer pour le moment, les a mutés ou dépouillés de toute responsabilité. Ainsi, le général-major Mohamed Kaidi quitte les puissants services de renseignements algériens, pour se voir rétrograder au poste de chef de département emploi-préparation de l’état-major de l’armée.
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Pour sa part, le général-major Wassini Bouazza, même s’il est toujours à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure, a été mis au placard par le président algérien qui a promu le général Abdelghani Rachedi comme directeur général adjoint de la DGSI, avec de «larges prérogatives», selon un communiqué de la présidence algérienne publié mercredi dernier. Durant la cérémonie d’installation du général Abdelghani Rachedi, l’absence de son supérieur hiérarchique direct, le général Wassini Bouazza, n’a échappé à personne. Nombre de militaires l’ont interprété comme une décision de Tebboune visant à l’affaiblir, prélude à un limogeage inéluctable.
Il faut ici rappeler que le nouveau puissant DSGI-adjoint a été d’abord installé dans ses fonctions, le mardi 7 avril, par le général-major Said Chengriha, chef d’état-major par intérim de l’armée, lors d’une cérémonie organisée au ministère algérien de la Défense. Le communiqué présidentiel de nomination du général Rachedi n’est intervenu, lui, que 24 h plus tard.
Mais ce qui est certain, c’est que les deux généraux écartés en douceur étaient en disgrâce depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence algérienne, le 12 décembre dernier. Et pour cause, ils furent les deux principaux gradés de l’armée à avoir fait campagne pour l’autre candidat du système, Azzedine Mihoubi, du Rassemblement national démocratique (dont le chef, Ahmed Ouyahya, a suivi les élections depuis sa cellule de la prison d’Al Harrach).
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En plus de jeter le trouble au sein de l’électorat algérien déjà peu enclin à aller aux urnes, le général Kaidi en a fait de même avec les autorités françaises lors d’une visite à Paris en novembre 2019. Au cours d’une rencontre, à l’ambassade d’Algérie à Paris, avec un émissaire de la DGSE française, et deux hauts fonctionnaires de Bercy (Finances) et du Quai d’Orsay (Affaires étrangères), Kaidi a révélé à ses interlocuteurs que le nom du futur président algérien était déjà connu et qu’il s’agissait de Mihoubi. Au lendemain du 12 décembre et de l’élection au premier tour de Tebboune, Emmanuel Macron aurait conseillé à son entourage la prudence quand ils sont en face d’officiels, et surtout de généraux, algériens.
Cette affaire est d’autant plus trouble, que trois jours après l’élection présidentielle, une réunion de hauts gradés algériens a eu lieu au ministère de la Défense, dans le bureau d’Ahmed Gaïd Salah. Ce dernier, entouré de Saïd Chengriha, alors chef des forces terrestres, et Hamid Boumaïza, commandant des forces aériennes, aurait convoqué les généraux Wassini Bouazza, patron de la DGSI et Mohamed Kaidi, coordinateur des services secrets auprès du ministère de la Défense, pour qu’ils s’expliquent sur leurs «manœuvres politiques» en faveur du candidat Mihoubi. Aucune sanction ne fut prise à leur encontre, sauf que depuis la mort de Gaid Salah, ils sont tombés en disgrâce, avant de se voir écartés en douceur par Abdelmadjid Tebboune, qui a bien des comptes à régler avec eux.
La purge au sein de la grande muette, commencée sous l’ère Bouteflika-Gaid Salah, est en train de s’exacerber de plus belle avec l’arrivée au pouvoir du duo Tebboune-Chengriha. Un signe qui ne trompe pas sur la très grave crise que traverse l’armée algérienne: sa revue, El Djeïch, met en exergue dans son dernier numéro la «cohérence totale » entre le président algérien Abdelmajid Tebboune et son armée. Si cette revue cherchait à attirer l’attention sur les très graves dissensions entre le président et ses généraux, elle n’aurait pas mieux agi.