Algérie cherche Alliés désespérément… RSVP par message privé

Xavier Driencourt.

ChroniquePour la première fois depuis l’indépendance, l’Algérie a voté avec les États-Unis– et de facto contre la position palestinienne– dans cette résolution 2803. Alger a abandonné 60 ans de doctrine, brûlé son capital symbolique «Palestine» et fait exactement ce qu’elle avait juré de ne jamais faire… juste pour acheter un peu d’oxygène diplomatique après la résolution 2797 sur le Sahara.

Le 16/12/2025 à 16h00

L’Algérie est isolée. Les fanfaronnades du régime ne servent à rien et personne ne croit à la «grande» politique étrangère algérienne… N’est pas Bouteflika qui veut.

Isolée car brouillée avec le Maroc, son plus proche voisin, brouillée avec la France depuis plus d’un an, en mauvaise posture avec la Libye comme avec les Émirats arabes unis. Enfin, pour ne rien arranger, le Nord-Mali est aux mains des jihadistes et le Nord-Mali… c’est le Sud algérien. Or, le Mali a toujours été un terrain d’influence stratégique pour l’Algérie: Bouteflika y avait séjourné, Ahmed Ouyahia y a été ambassadeur. Alger ne peut se désintéresser du Mali, avec lequel une longue frontière le lie et dont l’instabilité menace directement sa propre sécurité.

La libération de Boualem Sansal a donné un peu d’oxygène à une diplomatie algérienne exsangue, mais personne n’est dupe: le même jour, le régime emprisonnait le poète Mohamed Tadjadit, et le doyen des journalistes Saad Bouakba, pour avoir remué le débat sur le pactole du FLN, la corruption d’Ahmed Ben Bella et ses liens avec d’anciens officiels nazis qui l’ont aidé à créer sa police politique, selon les révélations du journaliste Farid Alilat.

Alger cherche donc des alliés. L’Allemagne, comme l’Italie en seront, mais avec, ne l’oublions pas, un certain détachement et un intérêt essentiellement commercial. Londres est également dans le viseur, mais les liens avec la Grande-Bretagne n’ont jamais été très denses et Londres cherche surtout à développer ses liens commerciaux.

Après l’échec du vote au Conseil de sécurité où l’on a vu Moscou et Pékin, comme le Pakistan lâcher l’Algérie lors du vote de la résolution 2797 sur le Sahara occidental, l’Algérie cherche à renouer avec les États-Unis de Donald Trump pour sortir de son isolement. Il faut souligner que les États-Unis ne manquent jamais une occasion de mettre en avant le soutien qu’accordait Washington à la lutte algérienne pour son indépendance avant 1962. Le 4 juillet, fête nationale américaine et veille du 5 juillet algérien, chaque ambassadeur américain, durant les huit années auxquelles j’ai assisté à cette fête américaine, y va de son couplet sur les liens Algérie-États-Unis. L’actuelle ambassadrice américaine est sans doute la diplomate la plus «instagrammable»: s’habillant en costume kabyle quand elle se rend dans la région, ou vantant les recettes culinaires comme si la diplomatie se réduisait à ces naïvetés photographiques.

Mais derrière ces apparences bon enfant, elle va où elle veut, quand elle veut: elle se rend partout, s’invitant dans les ministères, rencontrant le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, le président, et même les responsables militaires, de la gendarmerie, et de la police. Plus révélateur encore: le 1er novembre 2025, jour de commémoration du déclenchement de la révolution algérienne, elle publiait un message souhaitant un bon novembre au peuple algérien et annonçant qu’«un chapitre important de l’histoire de l’Algérie s’ouvre aujourd’hui», quelques heures après l’adoption de la résolution 2797 qui entérine le plan marocain comme seule base de négociation sur le Sahara occidental.

En retour, Alger multiplie les gestes d’amabilité envers Washington: l’ambassadeur d’Algérie à Washington n’est autre que Sabri Boukadoum, ancien Représentant permanent à l’ONU et ancien ministre des Affaires étrangères de Gaïd Salah puis de Tebboune. À l’ONU, l’ambassadeur Benjdema (lui-même ancien ambassadeur à Paris) a préféré ne pas participer au vote en faveur de la résolution sur le plan marocain.

À Washington, son collègue Boukadoum multiplie les appels du pied envers les États-Unis sur le gaz et les minerais, laisse entendre que la normalisation avec Israël n’est plus un tabou («Tout est possible», a-t-il déclaré au Stimson Center), et a fait appel à une firme de lobbying israélienne dont le lobbyiste principal n’est autre qu’Ehud Barak– le même avec lequel Bouteflika avait échangé une poignée de main en 1999. Le 18 novembre enfin, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a déclaré que son pays était prêt à soutenir toute initiative de médiation entre le Maroc et le Front Polisario omettant que l’Algérie est elle-même mentionnée comme partie prenante dans la résolution 2797. Or, nul ne saurait prétendre à la qualité de médiateur dans un différend où l’on est soi-même impliqué.

Le 17 novembre, l’offensive de charme algérienne envers Washington se poursuit avec un vote positif d’Alger lors de l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2803 sur la seconde phase du plan de paix américain à Gaza. C’est inédit: jamais, en 60 ans, l’Algérie n’avait voté avec les États-Unis sur le dossier palestinien. Toujours contre, toujours en divergence complète, toujours à faire la leçon. Et pourtant, pour la première fois depuis l’indépendance, l’Algérie a voté avec les États-Unis –et de facto contre la position palestinienne– dans cette résolution 2803. Alger a abandonné 60 ans de doctrine, brûlé son capital symbolique «Palestine» et fait exactement ce qu’elle avait juré de ne jamais faire… juste pour acheter un peu d’oxygène diplomatique après la résolution 2797 sur le Sahara.

Je vois pour ma part, quatre conclusions sur cette évolution:

  • On voit que dans ces dossiers, l’Algérie veut plaire à Washington, au risque d’abandonner les dogmes de sa politique étrangère.
  • Alors qu’Alger n’a cessé de critiquer l’Espagne puis la France sur le dossier du Sahara occidental, il ne dit rien dès lors que les États-Unis de Trump sont à l’initiative. Deux poids, deux mesures, «vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà» dit-on… Il y a clairement une volonté algérienne de se faire tout petit face à Donald Trump et de faire oublier les amitiés troubles de l’Algérie au moment où les États-Unis pourraient déclarer le Front Polisario comme un mouvement terroriste. Le projet de loi «Polisario Front Terrorist Designation Act» (H.R. 4119) est actuellement devant le Congrès américain. Ce texte contient une clause de dérogation présidentielle: Trump peut lever les sanctions si le Polisario s’engage de bonne foi dans des négociations fondées sur le plan d’autonomie marocain –exactement ce que prévoient le calendrier de 60 jours annoncé par l’envoyé spécial Steve Witkoff et l’examen stratégique à six mois inscrit dans la résolution 2797 du Conseil de Sécurité.

Le régime algérien observe également ce qui arrive à son ami Maduro: le président vénézuélien est désormais recherché par la justice américaine, son «Cartel de los Soles» vient d’être classé organisation terroriste étrangère, et son régime fait face à une intervention militaire américaine –frappes navales, opérations secrètes de la CIA autorisées par Trump, et menaces d’opérations terrestres. Échange de bons procédés entre Alger et Washington: les intérêts (économiques dans le cas de Washington, politiques dans le cas d’Alger) l’emportent sur le dogme.

  • On voit enfin que c’est bien la politique du rapport de force qui contraint Alger à bouger un tant soit peu sur ces dossiers: c’est bien parce que Washington n’hésite pas à manier le «big stick» qu’Alger fait mouvement et adoucit sa politique étrangère au prix de se renier et de créer des difficultés au plan intérieur où ces revirements ne sont pas compris. Si Emmanuel Macron pouvait suivre son ami Trump…
  • Enfin, la géopolitique mise en place dans les années 60 jusqu’au tournant du siècle et qui tournait autour des deux blocs américain et soviétique est en train de disparaître au profit d’un réalisme ou pragmatisme diplomatique.
Par Xavier Driencourt
Le 16/12/2025 à 16h00