Cette disparition au retentissement planétaire pourrait avoir un impact significatif sur le programme de réformes, surtout économiques, mises en avant par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Dimanche, la Bourse de Riyad a accusé une baisse de plus de 7%, sa plus grave dégringolade en trois ans, avant de terminer la séance à -3,5%.
Samedi, Donald Trump, un grand allié de l'Arabie saoudite, a pour la première fois estimé possible l'implication de Riyad dans la disparition de Jamal Khashoggi, entré le 2 octobre dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus réapparaître depuis. Si Riyad est responsable, il y aura "un châtiment sévère", a-t-il averti. Son conseiller économique, Larry Kudlow, a souligné que le président américain était "très, très sérieux". "Croyez-le sur parole, si les Saoudiens sont impliqués, si Khashoggi a été tué ou blessé ou qu'importe, les conséquences seront néfastes".
L'Arabie saoudite dément catégoriquement toute implication dans l'éventuel meurtre du journaliste, un critique du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui collaborait notamment avec le Washington Post et vivait exilé aux Etats-Unis depuis 2017. "Nous rejetons entièrement toute menace ou tentative d'affaiblir (le royaume), que ce soit via des menaces d'imposer des sanctions économiques ou l'usage de pression politique", a déclaré dimanche un haut responsable saoudien non identifié, cité par l'agence de presse saoudienne SPA. Si des sanctions sont appliquées, le royaume répondra avec de "plus grandes" sanctions, a averti ce responsable.
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L'ambassade d'Arabie saoudite à Washington a diffusé un communiqué pour souligner que le royaume "exprime sa reconnaissance à tous ceux qui s'abstiennent de tirer une conclusion hâtive sur l'enquête en cours, y compris l'administration américaine". Dimanche, le roi Salmane d'Arabie saoudite a affirmé la "solidité" des relations avec la Turquie, dans un entretien téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, a déclaré le ministère saoudien des Affaires étrangères sur Twitter. "Personne ne peut porter atteinte à la solidité des relations avec la Turquie soeur", a dit le monarque. Il a remercié Erdogan de "l'accueil favorable réservé à la proposition saoudienne de mettre sur pied une équipe de travail conjointe pour examiner l'affaire de la disparition du citoyen saoudien Jamal Khashoggi".
Une source à la présidence turque a par la suite confirmé que le roi Salmane et le président Erdogan avaient discuté de la manière dont on pouvait "faire la lumière sur le cas de Jamal Khashoggi", ainsi que de ce "groupe de travail conjoint dans le cadre de l'enquête". Une délégation saoudienne devait s'entretenir à Ankara avec des responsables turcs dans le cadre de l'enquête, mais rien n'a filtré à ce sujet. Des responsables turcs ont auparavant affirmé que le journaliste avait été assassiné dans le consulat par des agents saoudiens. Riyad affirme qu'il a quitté le bâtiment.
Paris, Londres et Berlin ont demandé une "enquête crédible". "Défendre la liberté d'expression et une presse libre, et assurer la protection des journalistes sont des priorités essentielles pour l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France", ont déclaré dans un communiqué commun les ministres des Affaires étrangères de ces trois pays. Un dissident saoudien réfugié au Québec, Omar Abdulaziz, s'est dit persuadé, dans un entretien dimanche avec la chaîne canadienne CBC, que les autorités de Ryad ont piraté son téléphone et écouté ses conversations avec Jamal Khashoggi sur des projets communs hostiles au régime, peu avant sa disparition.
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Depuis mercredi, la Bourse de Riyad a perdu un total de 50 milliards de dollars de capitalisation. Dimanche, elle a fortement dévissé, les investisseurs saoudiens réagissant principalement aux propos de Trump. Alors que les investisseurs s'enthousiasmaient encore il y a quelques semaines des pharaoniques projets économiques du prince héritier, l'affaire Khashoggi semble en avoir refroidi certains.
Le milliardaire britannique Richard Branson a annoncé geler plusieurs projets dans le royaume. Et des partenaires prestigieux ont annoncé ne plus participer au "Davos du désert", la deuxième édition de la conférence "Future Investment Initiative", organisée du 23 au 25 octobre à Riyad. La dernière en date de ces personnalités est le PDG de la banque américaine JP Morgan, James Dimon. Selon des médias américains, son nom ne figurait plus dimanche soir sur la liste des participants. Cher au prince héritier, l'événement est boudé par des médias comme le Financial Times, le New York Times et The Economist, mais aussi par le patron d'Uber.
Pour beaucoup de multinationales, aller à cette conférence comporte des risques en termes de réputation qui "l'emportent sur les bénéfices qu'elles auraient pu tirer de l'économie saoudienne", selon Michael Stephens, du centre de réflexion londonien Royal United Services Institute. Selon le cabinet d'analyses Eurasia, Ryad est désormais confronté à "une grave crise de relations publiques" et s'apprête à "se rendre compte qu'il va être particulièrement difficile de contenir la crise qui émerge".