Le royaume a limogé deux proches conseillers du prince Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, ainsi que trois responsables des services de renseignement, et a arrêté 18 suspects saoudiens.
Pour certains analystes, il s'agit d'une recherche de boucs émissaires pour désamorcer la crise internationale causée par la disparition de Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien critique du pouvoir.
Après 17 jours de démentis, l'annonce par les autorités saoudiennes que Jamal Khashoggi avait été tué lors d'une "bagarre" au consulat saoudien à Istanbul --sans qu'on sache où est son corps--, a suscité scepticisme et interrogations à travers le monde.
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L'Arabie saoudite avait précédemment rejeté les accusations de responsables turcs selon lesquelles Khashoggi aurait été torturé et tué par des agents saoudiens venus spécialement de Riyad.
"C'est le plus gros problème de l'Arabie saoudite", relève Michael Stephens, expert du Moyen-Orient au Royal United Services Institute. "Depuis le début, elle a menti publiquement et cela sape totalement sa position".
Outre une crise de crédibilité, le scandale provoqué par la disparition de Khashoggi a alimenté des spéculations selon lesquelles MBS risquait d'être délogé du pouvoir par des membres de la famille royale irrités par ses abus.Mais, selon des analystes, ce danger semble s'être atténué. Le prince héritier de 33 ans a accumulé un niveau de pouvoir jamais égalé par ses prédécesseurs et seul son père, le roi Salmane, âgé de 82 ans, est en mesure de l'évincer, estiment-ils.
Or le vieux monarque a publié samedi un décret royal pour former une commission ministérielle, dirigée par MBS, pour réorganiser les services de renseignement du royaume, indiquant ainsi qu'il était désireux de voir le prince héritier rester.
"Malgré les spéculations, les dernières annonces prouvent que le roi croit toujours que la ligne de succession actuelle est appropriée", juge Eurasia Group, une société de conseil en risques.
Cette crise semble d'ailleurs avoir incité le roi, habituellement en retrait et qui parait avoir confié les affaires courantes à MBS, à multiplier les contacts diplomatiques, notamment avec la Turquie et les Etats-Unis.
Le roi Salmane a également ordonné le limogeage du général Ahmed al-Assiri, chef-adjoint du renseignement, et de Saoud al-Qahtani, conseiller "médias" à la cour royale, tous deux membres de la garde rapprochée du prince héritier. Pour l'analyste Kristian Ulrichsen du Baker Institute de l'université de Rice aux Etats-Unis, "renvoyer Saoud al-Qahtani et Ahmed al-Assiri, c'est aller aussi près que possible de MBS".
Et "la décision de destituer des membres du cercle restreint autour de Mohammed ben Salmane vise à démontrer une réelle volonté de rendre des comptes", tout en "éloignant le prince héritier du meurtre", précise Eurasia.
Ces limogeages n'ont pas endigué la vague de critiques internationales contre MBS, dont l'image de réformateur a été ternie par la répression de dissidents, éclipsant ainsi son programme de modernisation Vision 2030 destiné à préparer le royaume à l'ère post-pétrolière.
"Il sera intéressant de voir si ces mesures s'avèrent suffisantes. Si (la révélation) au goutte à goutte de détails supplémentaires (sur la mort de Khashoggi) continue, il n'y aura plus rien pour protéger MBS", ajoute Kristian Ulrichsen.
Le président américain Donald Trump semble également avoir appuyé le prince, endossant rapidement l'explication saoudienne sur la mort de Jamal Khashoggi et la qualifiant de "pas très important".
Le Washington Post, dont Jamal Khashoggi était un collaborateur, a affirmé samedi que la CIA avait écouté des enregistrements de responsables turcs prouvant que le journaliste avait été sauvagement assassiné par des agents saoudiens ayant ensuite démembré son corps. La CIA a nié avoir écouté des enregistrements de responsables turcs.
Selon le New York Times, un agent saoudien identifié par la Turquie aurait accompagné MBS pendant ses voyages à l'étranger. Trois autres sont liés à ses services de sécurité et un cinquième est un médecin légiste de haut niveau, selon le journal américain.
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Pour autant, le pouvoir saoudien ne cherche pas à camoufler quoi que ce soit dans la mort de Jamal Khashoggi, assurent des personnalités proches des cercles dirigeants saoudiens.
"La destitution de deux hauts fonctionnaires, un conseiller très puissant et très proche de MBS et le chef adjoint du renseignement (...) ne peut être considérée comme une tentative de dissimulation", a tweeté Ali Shihabi qui dirige l'Arabia Foundation, un groupe de réflexion pro-saoudien basé à Washington.
Cependant, Ali Shihabi, qui cite une source saoudienne de haut rang, a lui-même contredit la version officielle en affirmant que Jamal "Khashoggi est mort étranglé lors d'une altercation physique, pas après une bagarre à coups de poing".
La Turquie a promis, pour sa part, de révéler tous les détails sur la mort de Jamal Khashoggi. Plusieurs pays et ONG ont appelé à une enquête internationale indépendante. "On ne peut pas laisser le régime saoudien se cacher derrière des mensonges et s'en tirer à bon compte", a déclaré Summer Lopez, directrice de la liberté d'expression à PEN America.