En lançant lundi aux États-Unis "Messenger Kids", une version de sa messagerie adaptée aux 6-12 ans, Facebook a mis pour la première fois le pied sur ce marché sensible. Le groupe américain marche sur des œufs et assure que l'application est conforme à la réglementation sur la protection des enfants sur internet. Dans cette version, les parents contrôlent par exemple la liste des contacts et il n'y a ni publicité ni achats intégrés.
Le réseau social jure répondre à un "besoin" des parents, avides de protéger leurs enfants des dangers potentiels de la technologie et d'internet. Puisqu'ils y sont de toute façon exposés en permanence, autant qu'ils le soient de façon sécurisée, tel est le credo de nombreux groupes technologiques. "Aujourd'hui, les parents autorisent de plus en plus leurs enfants à utiliser tablettes et smartphones, mais ont souvent des inquiétudes sur la façon dont leurs enfants les utilisent", écrit Facebook sur son blog.
Les associations de protection de consommateurs ont réagi plutôt favorablement à cette initiative: le Centre pour la démocratie numérique a reconnu "une approche responsable" de la part de Facebook tandis que Consumer Watchdog a salué les "garde-fous" prévus -en particulier l'absence de publicité-, comme l'explique John Simpson, responsable des questions de vie privée au sein de cette organisation.
Mais c'est un pis-aller, ont-elles également souligné. "Idéalement, les jeunes enfants ne devraient pas être confrontés à ce genre d'environnement", a estimé Jeff Chester, du Centre pour la démocratie numérique, notant que "la pression sur les parents pour qu'ils laissent leurs enfants utiliser ces services est énorme".
Selon John Simpson, l'impact de l'usage de la technologie par les jeunes enfants sur leur développement et sur leur socialisation est encore mal connu. Les entreprises assurent vouloir protéger les enfants. Pour autant, "elles n'agissent pas par générosité ou bonté d'âme, elles le font pour créer une base de futurs clients fidèles", a pointé John Simpson.
Avec Messenger Kids, Facebook "habitue les enfants à passer du temps sur internet et sur les réseaux sociaux", a abondé David Monahan, de la Campagne pour une enfance sans publicité. Pour lui, la démarche s'apparente à celle d'autres entreprises, comme Google qui inonde depuis cinq ans le système scolaire américain avec ses Chromebooks, des appareils intermédiaires entre ordinateur portable et tablette.
Sur son site dédié "Google for Education", le groupe cible explicitement les écoles, vantant le prix "abordable" de cet équipement et sa "facilité d'utilisation". "C'est pourquoi les écoles américaines en ont fait leur appareil (électronique) numéro un", vante le géant de la Silicon Valley, assurant que ses produits favorisent la réussite en classe.
Vendre aux écoles n'est pas une nouveauté -Apple, Microsoft ou HP le font depuis longtemps- mais Google a largement triomphé sur ce terrain, au point que le New York Times évoquait récemment la "Googlification des salles de classe". Avec le Chromebook, les enfants sont imprégnés de tout un écosystème d'applications: moteur de recherches, mais aussi Google Docs pour rédiger les rédactions, Gmail pour envoyer des courriels, etc. Le géant, qui facture 30 dollars de licence par appareil, affirme que plus de 20 millions d'enfants et d'adolescents dans le monde l'utilisent en milieu scolaire.
Le fait que le groupe soit perçu comme un partenaire de l'école légitime le produit comme un bon outil, selon David Monahan. Les associations s'inquiètent aussi de la protection des données personnelles des enfants collectées par les entreprises, que ce soit des groupes technologiques ou des fabricants de jouets connectés par exemple.
Mattel a récemment renoncé, après une levée de boucliers, à commercialiser une enceinte connectée pour enfants, accusée d'atteinte à la vie privée et d'exposer les jeunes à la publicité ou aux pirates informatiques. Deux sénateurs américains se sont, eux, saisis du sujet en écrivant jeudi à Facebook pour exprimer leurs inquiétudes sur Messenger Kids, notamment concernant la collecte de données personnelles.