Le New York Times brosse un sombre tableau de la situation en Algérie

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Le quotidien américain The New York Times décrit, dans un article paru hier, dimanche 4 octobre 2020, une Algérie dont la situation est très préoccupante, «un an après le Hirak», alors que «l’espoir d’un renouveau se dissipe». Extraits.

Le 05/10/2020 à 16h50

«Un an après qu’un soulèvement populaire ait chassé du pouvoir Abdelaziz Bouteflika, l’autocrate au pouvoir depuis 20 ans, et conduit l’armée à emprisonner une grande partie de l’oligarchie dirigeante, l’espoir d’un changement radical du système politique et d’une vraie démocratie en Algérie se dissipe», a écrit le quotidien américain hier, dimanche, dans un article paru sous la signature du chef de son bureau à Paris, Adam Nossiter.  

Le journaliste s'est rendu à Alger, où il a notamment interviewé le président Abdelmadjid Tebboune. La publication de cet article intervient au lendemain d'une visite à Alger du ministre américain de la Défense, Mark Esper. Pour le quotidien new-yorkais, «les vieilles habitudes ont la vie dure dans ce pays du Maghreb qui a connu près de 60 ans de répression, d’ingérence de l’armée, d’élections truquées, et très peu de démocratie».

Lors de son entretien avec l'envoyé spécial du New York Times, le président algérien a défendu l'idée que son pays était désormais «libre et démocratique», mais le journaliste américain a rappelé dans son article que c'était au sein de ce même «ancien régime corrompu qu’il a construit toute sa carrière».

«L’Etat emprisonne les dissidents, et les sièges [du parlement, Ndlr] sont à vendre -pour environ 540.000 dollars, d’après les aveux à la justice d’un parlementaire- dans ce même parlement qui a ratifié la nouvelle constitution de Tebboune, rédigée après son accession au pouvoir suite à une élection contestée en décembre», décrit Adam Nossiter, qui rappelle que «l’opposition, elle, est affaiblie par son manque de leaders et l’absence d’un projet alternatif cohérent pour le pays».

«Nous faisons marche arrière à toute vitesse», déplore, cité dans cet article, Mohcine Belabbas, un élu de l’opposition qui a joué un rôle important dans le soulèvement populaire. Et pour le New York Times, «il y a aujourd’hui deux récits politiques en Algérie: celui de M. Tebboune, du haut de son bureau, et celui de la rue».

«Le soulèvement de la rue qui a commencé l’année dernière, connu sous le nom du Hirak, avait d’abord paru amorcer une nouvelle ère, dans un pays longtemps étouffé par ses militaires. Mais l’incapacité du mouvement à se regrouper derrière des dirigeants et à s’accorder sur des objectifs a créé un vide».

Et le journaliste d’ajouter que «les vestiges de l’appareil répressif algérien et ses puissants services de sécurité sont rapidement intervenus pour le combler».

En Algérie, rappelle-t-il, «l’armée s’est très vite imposée sur la scène politique et n’a cessé d’y jouer un rôle capital, ouvertement ou en coulisses. La guerre civile avec les islamistes dans les années 90, qui fit près de 100.000 morts, n’a fait que consolider cette influence».

Après avoir souligné que Abdelmadjid Tebboune, «un éphémère Premier ministre sous Bouteflia, soupçonné d’avoir été soutenu par Gaïd Salah», a été élu au terme d’un scrutin auquel ont pris part «moins de 10 % de la population», le quotidien américain indique que la pandémie du coronavirus «a mis fin aux manifestations et depuis, le gouvernement joue à cache-cache avec ce qui reste du Hirak, arrêtant les uns et relâchant les autres».

Le New York Times revient également sur l’arrestation et la condamnation pour «atteinte à l’unité nationale» du journaliste Khaled Drareni pour avoir dénoncé un «système (qui) se renouvelle sans cesse et refuse le changement».

Au cours de son interview avec le président algérien, le journaliste précise que Abdelmadjid Tebboune a encouragé ses ministres, d’habitude réticents, à se laisser interviewer, allant même jusqu’à inciter le chef de l'état-major de l'armée algérienne, et vice-ministre de la Défense, le général Saïd Chengriha, «d’ordinaire inaccessible aux médias, à s’y prêter également».

«L’armée est neutre», a avancé ce militaire, âgé de 75 ans, et de s’interroger: «comment voulez-vous que nous soyons impliqués en politiqu? Nous ne sommes pas du tout formés pour ça».

Pourtant, «le général et le président affirment se réunir au moins deux fois par semaine pour s’entretenir de la situation du pays, qui est de plus en plus instable en raison de la baisse du prix du pétrole», écrit le journaliste du New York Times, qui ne manque pas de rappeler que le pétrole et le gaz constituent plus de 90% des exportations de l’Algérie, qui, pour s’en sortir, a besoin d’un baril à 100 dollars, ce qui est loin d'être actuellement le cas, alors que leur cours sur les marchés est en chute libre.

Par Ayoub Khattabi
Le 05/10/2020 à 16h50