Sexe et amour au Maroc: entre tabous et interdits, la liberté virtuelle s’impose

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L'émission "Enquête exclusive" diffusée sur M6 et consacrée au sexe et à l'amour au Maghreb donnait à voir il y a quelques jours le calvaire des mères célibataires. Côté Maroc, on grince des dents. "Pourquoi nous résume-t-on à ce cas de figure?", s'interrogent ceux qui vivent librement leurs amours.

Le 03/02/2019 à 12h47

Il y a quelques jours, était diffusé sur la chaîne française M6 le documentaire «Sexe et amour au Maghreb», réalisé par Michaëlle Gagnet, dans le cadre de l’émission «Enquête exclusive». Du Maroc, on y montre le calvaire des mères célibataires, ce que beaucoup de spectateurs dénoncent. L’amour et le sexe au Maroc se résument-ils à cela ? Non, assurément.

Dans un Maroc à plusieurs vitesses, où s’entrechoquent au quotidien les différences de mentalités, ce documentaire a fait grincer bien des dents, pour différentes raisons. Certains y voient une tentative de dénoncer un modèle arabo-musulman et de vouloir à tout prix occidentaliser, comprenez par là «pervertir», notre culture. D’autres s’agacent au contraire de n’avoir vu du Maroc qu’un aspect misérabiliste, en l’occurrence incarné par les mères célibataires et leurs enfants, considérées comme des parias par une certaine catégorie de la société.

Où sont donc passées les boîtes de nuit où hommes et femmes se trémoussent en toute quiétude, les restaurants bondés de couples qui s’affichent en public, les idylles qui se vivent au grand jour?, s’interrogent ainsi les Marocains dits «modernistes», citadins pour la plupart, qui ne s’encombrent pas d’interdits pour vivre leur vie. Mauvaise foi de leur part ou vérité avérée?

Un peu des deux, dirons-nous, car depuis les amours chastes de nos grands-parents, le Maroc a bien changé. Aujourd’hui, force est de constater que si les mœurs ne changent pas, et qu’un certain conservatisme semble s’installer confortablement, la liberté, elle, gagne du terrain en matière de rapports amoureux. Et pour cause, il est un Maroc où le sexe et l’amour ne sont plus un tabou. Et dans ce Maroc «libéré», les réseaux sociaux et les applications amoureuses jouent un rôle crucial.

Fini le temps des marieuses qui faisaient du porte-à-porte à la recherche de «matchs» entre jeunes gens de bonnes familles. Exit les mères envahissantes et les pères intrusifs. A ceux-là, on promet qu’on se mariera un jour, mais en attendant, on vit sa vie en 2.0 et en mode tactile.

Le temps des amours libres… et virtuels.Les applications amoureuses, Tinder en tête de liste, ont ainsi grandement participé à la libération virtuelle des Marocains. Se rencontrer dans la rue, chez des amis ou par hasard fait désormais partie du passé, ou ne représente du moins plus la seule alternative. Ces rencontres à l’ancienne qui comportaient beaucoup de risques, à commencer par celui de se faire repérer, pincer, dénoncer, voire arrêter, sont aujourd’hui reléguées au second plan derrière les rencontres virtuelles.

Finis aussi les sites de rencontres. On ne perd plus son temps aujourd’hui à compléter un profil digne d’un curriculum vitae. Une photo, un pseudo et en avant la musique!

Avant de se rencontrer, on se scrute le profil, on zoome en gros plan sur les détails d’une photo à la rechercher d’une imperfection, on passe à la loupe une bio, on analyse les centres d’intérêts avant de cocher le signet vert en guise de «oui je le veux» ou d’opter pour la fatidique croix rouge, signifiant «hors de ma vue», et beaucoup plus directe que l’ancien «tu comprends ce n’est pas de ta faute, c’est de la mienne. Je suis trop compliqué. Je ne sais pas ce que je veux. C’est pour ton bien. Je t’aime déjà trop pour se te faire souffrir. Blablabla…» Autrement dit, Tinder, Happn & co assurent à notre communauté en mal d’amour et de sexe un précieux gain de temps.

Nouvelles amours, nouveaux risques«Quand j’étais ado, il y a donc plus de vingt ans, les rencontres avaient un charme particulier. On s’échangeait des signaux avec le voisin de l’immeuble d’en face. Un petit mot glissé dans la main par un jeune homme qui nous suit chaque jour dans la rue. Et quand on recevait un appel téléphonique sur le fixe, planté au milieu du salon, c’est dire que le garçon était sérieux et courageux», se souvient Samira.

Aujourd’hui, ce type de préambules à une rencontre prête à sourire pour les plus jeunes. Normal, quand à 10 ans déjà, on possède un smartphone et qu’à 13 ans, on est inscrit sur Facebook, Instagram, Snapchat et Whatsapp.

Les amourettes de cour de récréation naissent aujourd’hui sur les réseaux sociaux, au vu et au su de tous, entrainant parfois des dérives difficiles à maîtriser pour les parents pas très regardants. Le phénomène du «revenge porn» a ainsi fait des ravages dans les rangs des élèves du lycée Lyautey en 2014. Un compte Instagram anonyme diffusait alors au compte-goutte des photos compromettantes d’élèves. Une photo en particulier montrait une jeune fille, à visage découvert, en pleine relation sexuelle avec un jeune homme. Une enquête avait par la suite été ouverte par l’établissement et la jeune fille en question, déscolarisée depuis, a supprimé toute trace de sa présence sur les réseaux sociaux.

Qui se cache derrière son écran ?Du côté des aficionados de l’amour virtuel, il y a de tout. Côté femmes, on y trouve la jeune fille qui, dans la vraie vie, n’a pas le droit de sortir de chez elle sauf pour aller à la fac, la femme divorcée en mal d’une vie intime qui aimerait que sa vie sexuelle ne soit pas enterrée avec son mariage, la célibataire à la recherche de la perle rare et qui, en désespoir de cause, active en parallèle de ses recherches sur le terrain, l’option Tinder.

Autre profil, de plus en plus répandu selon les utilisateurs masculins dont fait partie Samir, les prostituées. «Aujourd’hui, plus la peine de sortir dans la rue ou dans un bar pour rencontrer une prostituée. Il suffit d’aller sur Tinder. 80% des filles que je rencontre sur l’application finissent par me demander de l’argent en contrepartie de relations sexuelles», se lamente ce divorcé, père de deux enfants.

Une réalité qui certes, existe, mais qu’il convient toutefois de ne pas généraliser. N., femme divorcée de 42 ans, est loin de représenter ce cas de figure. Dans son cas, Tinder est un exutoire, une bouffée d’oxygène qui lui donne l’impression de se sentir libre dans une société où elle ne n’est pas. «Depuis que j’ai divorcé, je vis seule et je me sens constamment surveillée. Par ma famille, par le gardien de voitures, par le concierge, par mes voisins, par l’épicier du coin… Je sens les regards braqués sur moi pour scruter mon quotidien et s’assurer que je rentre bien seule chez moi ou qu’aucun homme ne me rend visite.»

N. vit le quotidien de beaucoup de femmes divorcées au Maroc. Si l’ex-mari ne rencontre aucun problème à refaire sa vie et rafle au passage la bénédiction de tous pour rencontrer une autre femme, il n’en est rien pour les femmes divorcées qui, non contentes de se voir taxer de mauvaises épouses n’ayant pas su satisfaire leur mari, deviennent en plus des bombes ambulantes, au prétexte qu’elles ont perdu leur virginité.

Pour éviter les qu’en dira-t-on, N. se sert ainsi de Tinder pour faire des rencontres, à l’abri des regards, confortablement installée dans son salon et plutôt que de courir le beau dans les endroits branchés de la ville, anime ses soirées en solo en passant d’une bulle de discussion à une autre.

Quid des hommes qui s’inscrivent sur ce type d’applications? Dounia et Zineb, toutes deux utilisatrices de Tinder, en rient à gorge déployée en ouvrant leur compte pour nous montrer les Apollons qui s’y cachent. «Celui-ci est marié ! Je le sais puisque je connais bien sa femme» commence Dounia, choquée.

«Regardez celui-là, qui pose devant une voiture de luxe qui n’est surement pas la sienne», renchérit Zineb hilare. Les profils se succèdent avec leur lot de surprise. Les quinquagénaires arborant des attributs de luxe de types voitures, montres et grosses cylindrées sont légion.

Agriculteurs, chauffeurs de taxi, jeunes cadres en costumes cintrés, expatriés en mode fête éternelle… Ils sont célibataires, divorcés, parfois encore mariés, et, pour eux, Tinder facilite grandement les rencontres. «On ne vient pas ici chercher l’amour», résume Mehdi, 35 ans. «Pour moi c’est un gain de temps. Je bosse toute la journée et je n’ai pas le temps de faire des rencontres. Du coup, je gère ma vie perso le soir en chattant avec plusieurs filles. Au final, il y en aura bien une qui se détachera du lot et avec qui avec j’aurais envie d’aller plus loin, le temps d’une soirée, ou deux...», explique-t-il. Idem pour Abdou, 55 ans, divorcé: «je n’ai pas envie de me remarier, je veux juste faire des rencontres et m’amuser. Ce type de rencontres me convient parfaitement. C’est léger et sans obligations. Tout ce que je recherche.»

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Dans une société où le poids des traditions en étouffe plus d’un, les applications amoureuses représentent ainsi une alternative. «Préserver sa virginité pour le jour du mariage? C’est fini ce temps là! Je n’ai pas l’intention de me marier avec un homme qui placera son honneur entre mes cuisses!» tranche Samia, 33 ans.

Du virtuel au concret…Après Tinder, on passe sur WhatsApp, et ensuite sur Facebook… C’est la suite logique des choses pour une relation virtuelle qui tend à devenir sérieuse. Et pour certains, on ne se contente pas de messages. Dans le cas de S., 39 ans, la vie sexuelle se vit aussi à distance. «Il m’arrive d’avoir des relations sexuelles par téléphone, parfois avec caméra, avec des hommes rencontrés sur Tinder. Je le fais uniquement quand je me sens en confiance avec la personne.» Du sexe virtuel en guise de préambules à une prochaine rencontre ou pas. «C’est une manière de ne pas s’engager, de ne pas prendre de risques et aussi de mettre du piment dans ma vie.»

Prochaine étape quand ça «match», se rencontrer. Et là, c’est à l’homme d’entrer en scène et de faire preuve d’imagination pour garantir à sa partenaire un lieu confidentiel et sécurisé pour pouvoir se retrouver sans crainte.

«Impossible de se voir dans un hôtel quand on n’est pas mariés», nous explique Y, jeune homme de 27 ans qui affiche un long tableau de chasse sur les réseaux sociaux et applications amoureuses. «Du coup, je me rabats sur l’appartement inhabité de ma tante» nous explique-t-il, plutôt fier de son bon plan.

Pedro, Espagnol qui voyage souvent au Maroc, opte lui aussi pour Tinder afin de faire des rencontres lors de ses escales, bien que marié et père de famille de l’autre côté de la Méditerranée. «Ca ne va pas très fort avec ma femme», nous confie-t-il pour expliquer sa présence sur l’application de rencontre, dont il se sert pour «trouver une bonne compagnie» quand il est en déplacement à Casablanca. «J’ai une bonne amie, que j’appelle à chaque fois que je viens. On sort ensemble, on dine au resto, on passe du temps mais rien de plus… », explique-t-il, entre deux avions.

Le Maroc dépeint dans l’émission «Sexe et amour au Maghreb» existe assurément. Mais il n’en demeure pas moins qu’il existe d’autres facettes de ce même Maroc, où l’on contourne les interdits et les tabous pour vivre «librement» sa vie amoureuse. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 03/02/2019 à 12h47