Au cœur de cette polémique, l'utilisation du nom de Majorelle. D’un côté, les ayants droits du peintre accusent la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent d’utiliser les noms «Majorelle» et «Jardin Majorelle». De l’autre, cette fondation, qui exploite l’endroit.
En 1980, le célèbre couple formé par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent achètent le jardin et le sauvent de sa disparition. Les nouveaux propriétaires décident d’habiter la villa dans laquelle vivait Jacques Majorelle, qu'ils rebaptisent Villa Oasis, et entreprennent d’importants travaux de restauration du jardin pour lui redonner sa splendeur d'antan.
Plus tard, Madison Cox, paysagiste, et dernier compagnon de Pierre Bergé, avait pris le relais après la mort des deux hommes. A la tête de la fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent et du Jardin Majorelle, il a dû faire face à une guerre d’héritage.
Fort heureusement pour lui, la justice française vient de trancher en sa faveur.
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Par arrêt du 20 novembre 2018, la Cour d’Appel de Paris a en effet rejeté l’ensemble des demandes formées par Monsieur Michel Pidancet et Madame Jacqueline Hamman, ayants droits de Jacques Majorelle, à l’encontre du Jardin Majorelle et de la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent.
La Cour, constatant que Monsieur Pidancet et Madame Hamann ne sont pas descendants du peintre Jacques Majorelle, a constaté que ces derniers n’ont pas "qualité à remettre en cause les droits de la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent et de la société Jardin Majorelle".
Ceux-ci ont ainsi été déboutés des demandes d’interdiction d’usage des noms Majorelle et Jardin Majorelle et d’indemnisation d’un supposé préjudice.
La Cour a, de plus, condamné les deux ayants droits à verser une somme globale de 60.000 euros à la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent et au Jardin Majorelle.
Dans un communiqué de presse, la fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent et la société en charge de la gestion du Jardin Majorelle se réjouit «de cette décision, (...) qui demeure pour l’heure susceptible de pourvoi sous réserve de son exécution par Monsieur Pidancet et Madame Hamann».
Mais pour mieux comprendre l’affaire, un petit voyage dans le temps s’impose…
Tout commence lorsque Jacques Majorelle, installé au Maroc depuis 1917, acquiert en 1923 à Marrakech un terrain d’environ 1,6 hectares, limitrophe de la palmeraie. Avant de l'agrandir de près de 4 hectares en acquérant de nouvelles parcelles, il y fait construire une maison au style mauresque, puis installe ses ateliers dans un autre bâtiment au style berbère, le Borj. En 1931, la conception de l'actuelle villa cubiste est confiée à l’architecte Paul Sinoir. *
Jacques Majorelle, passionné de botanique, va ensuite créer tout autour de sa demeure un jardin luxuriant qu'il continuera à enrichir de nouvelles variétés de plantes pendant près de quarante ans.
Ce jardin luxuriant dont les espèces proviennent des quatre coins du monde demande toutefois des frais d'entretien très importants, qui contraignent l'artiste à l'ouvrir au public dès 1947 moyennant un droit d'entrée. Jacques Majorelle, qui divorce en 1956, devra morceler son domaine. Après s'être remarié, il sera victime d'un accident de voiture en 1955 qui le diminuera physiquement. Amputé d'une jambe, affaibli et au bord de la ruine, il se voit obligé de céder sa part du jardin et de la villa-atelier en 1961. Il décèdera en 1962, à Paris, quelques mois plus tard.
Le jardin Majorelle tombe alors dans l’abandon pendant plus de vingt ans, et c’est à cette période que le couple que forment Yves Saint Laurent et Pierre Bergé le découvrent en 1966, lors de leur premier séjour à Marrakech.
Dans Yves Saint Laurent, Une Passion marocaine, son ouvrage publié en 2010, qu'il a consacré au grand couturier dont il a partagé la vie, Pierre Bergé écrit ainsi que « (...) très vite, nous devînmes familiers de ce jardin, il n’était guère de jours sans que nous nous y rendions. Il était ouvert au public mais il n’y avait presque personne. Nous fûmes séduits par cette oasis où les couleurs de Matisse se mêlent à celles de la nature.» (…) «Aussi, quand nous avons appris que ce jardin allait être vendu et remplacé par un hôtel, nous fîmes l’impossible pour arrêter ce projet. C’est ainsi qu’un jour nous devînmes propriétaires du jardin et de la villa. Au cours des années, nous avons redonné vie au jardin...».