Né à Imzouren, dans le Rif marocain, Karim Adduchi vit et travaille aujourd’hui à Amsterdam où il a lancé sa griffe en 2015.
Depuis, le créateur a été accueilli à bras ouverts dans l’univers pourtant très cloisonné de la mode occidentale et faisait même partie, en janvier 2018, des 30 personnalités de moins de 30 ans "à suivre" dans les univers de l’art et de la culture en Europe, selon Forbes.
Son inspiration, il la puise dans son enfance passée dans le Rif, dans sa culture et ses traditions, et, par-dessus tout, dans l’image très particulière qu’il a de la femme marocaine, forte, élégante et sculpturale.
A l’occasion de la présentation de «Maktub» sa nouvelle collection, les 3 et 4 mars 2019, Virginie Despentes, qui n’a pourtant pas pour habitude de fouler les tapis rouge de la planète mode, a signé une note d’intention destinée aux acheteurs et à la presse lors de la présentation de la collection de Karim Adduchi.
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Voici le texte dans son intégralité :«Il dit ma mère m’a mis au monde sous sa table de couture. Je suis arrivé si vite qu’elle n’a pas eu le temps de se lever. Elle a pris les ciseaux avec lesquels elle travaillait pour couper le cordon ombilical. Il dit je ne sais pas s’il faut raconter ça aux gens, mais cette collection est un tribu à l’enfance. J’ai grandi parmi les femmes à Imzouren, au nord du Maroc. Il dit j’ai rencontré mon père à l’aéroport de Barcelone, j’avais 4 ans. Je ne l’avais jamais encore jamais vu, quand il est parti chercher du travail en Espagne j’avais 7 mois.
Lui aussi était couturier. J’ai grandi dans le son des machines à coudre et je jouais avec les chutes de tissus. Je sais que chaque couleur est une émotion, les étoffes ressuscitent des souvenirs précis, les textures nous connectent à des nostalgies, la mémoire brode et un fil de coton est toujours le fil d’une histoire. Il dit la couture est toujours une affaire de mémoires. Il dit quand je travaille j’essaye de comprendre quel est mon rapport aux matières, à la coupe, aux volumes – et pour ça je travaille avec mon enfance. C’est à elle que je redonne un sens, la mienne et celle de ceux qui m’entourent, la leur et celles de ceux qui nous ont précédé.
Il dit je ne parlais pas beaucoup enfant mais je dessinais tout le temps et c’est comme ça qu’on m’a mis dans une école d’art et aujourd’hui je viens de là et je vois la couture comme ça : c’est une lecture du monde, tel qu’il est, en même temps qu’une proposition, tel que je le désire. C’est le monde entier que je veux mettre dans une collection, et c’est au monde entier que je m’adresse.
Et ce qui frappe, chez Karim Adduchi, comme il est et ce qu’il invente – c’est l’élégance de sa légèreté. Il regarde les corps, tous les corps, et il invente pour eux une façon d’habiter le monde. Il regarde les femmes, toutes les femmes, et il voit qu’il ne s’agit ni de cacher ni de montrer mais toujours de trouver la force d’être son propre centre de perception. Il imagine des vêtements qui seraient des alliés, qui seraient des soutiens, qui célébreraient la puissance, l’endurance – aussi bien que la défaillance.
Le travail de Karim Adduchi est une élaboration d’une esthétique de la douceur, qui dépasse les frontières de la mode et du genre pour s’adresser de façon synesthésique à ce dont nous avons besoin – d’amour. Non du désir de posséder en dépossédant l’autre de quoi que ce soit – mais d’amour. Candide, radieux, qui tranche et déstabilise, sans chercher à brusquer et décrire son travail avec des mots revient toujours à ça : parler de la douceur, qui n’a peur ni de la surprise, ni de la complexité, ni de la faiblesse.
Le Mektoub de Karim Adduchi – ce qui est écrit, ce qui adviendra – c’est sa façon de dire nos destins sont tressés, c’est déjà arrivé.Et c’est un miracle de beauté. Virginie Despentes.»