Longtemps cantonné aux cercles prospectifs, l’hydrogène vert s’installe progressivement au cœur des stratégies industrielles de décarbonation. Son principal vecteur logistique, l’ammoniac vert, s’impose aujourd’hui comme la solution la plus crédible pour transporter l’hydrogène à grande échelle. Ce changement structurel est au centre d’un rapport universitaire allemand de premier plan, Green Ammonia: A Techno-Economic Supply Chain Optimization, publié en 2025 par la Brandenburg University of Technology (BTU) de Cottbus-Senftenberg.
Le diagnostic est net. Le Maroc figure parmi les fournisseurs les plus compétitifs au monde pour alimenter l’Europe en ammoniac vert, aux côtés des États-Unis et des Émirats arabes unis. Ce positionnement ne relève ni d’un discours politique ni d’une projection abstraite. Il découle d’une analyse technico-économique approfondie des chaînes d’approvisionnement mondiales, selon le rapport.
Le rapport de la BTU s’appuie sur une modélisation détaillée des coûts de production, de conversion, de stockage et de transport de l’hydrogène sous forme d’ammoniac vers les marchés européens. En comparant les pays exportateurs potentiels, l’étude fait émerger une hiérarchie intéressante. Le Maroc apparaît comme l’un des rares territoires capables de combiner abondance d’énergies renouvelables, proximité géographique avec l’Europe et stabilité des infrastructures. L’avantage est systémique, pas conjoncturel.
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Les auteurs soulignent que «des fournisseurs compétitifs d’ammoniac, notamment le Maroc, les États-Unis et les Émirats arabes unis, bénéficient de coûts très bas de l’électricité renouvelable, avec des réductions de prix significatives attendues d’ici 2040», portées par la baisse continue des coûts des électrolyseurs et des technologies de synthèse. La conclusion de Green Ammonia: A Techno-Economic Supply Chain Optimization est sans ambiguïté: l’ammoniac vert devient un «vecteur stratégique des chaînes d’approvisionnement de l’énergie propre, à la fois produit industriel et support de transport de l’hydrogène». Un constat qui marque une rupture estimant que le Maroc ne se limite plus à produire de l’électricité verte, mais s’inscrit désormais dans l’exportation de molécules énergétiques à haute valeur stratégique.
Aujourd’hui, le solaire et l’éolien marocains se transforment en hydrogène, puis en ammoniac, avant de traverser la Méditerranée sous forme de cargaisons destinées à l’industrie lourde européenne. L’énergie change d’état, et avec elle, la place du Royaume dans l’économie mondiale.
Un saut qualitatif dans la structure de l’économie marocaine
Le rapport allemand montre que la valeur créée par l’ammoniac vert dépasse largement celle d’une simple exportation d’électricité. Le Royaume entre dans une économie de chaînes de valeur énergétiques intégrées, où la production, la transformation chimique, la logistique portuaire et la contractualisation internationale forment un système industriel cohérent. L’ammoniac vert quant à lui, s’impose comme une marchandise stratégique, appelée à jouer un rôle comparable à celui du pétrole ou du gaz au 20ème siècle, mais dans un cadre décarboné. Toute une mutation qui redessine en profondeur les relations entre l’Europe et l’Afrique.
Cependant, les chercheurs de la BTU rappellent que la transition énergétique européenne repose sur des volumes massifs d’hydrogène bas carbone que le continent est incapable de produire seul. Dans ce contexte, les importations d’ammoniac vert deviennent un pilier de la souveraineté énergétique européenne. Par sa proximité géographique et son potentiel de production, le Maroc se retrouve mécaniquement au cœur de cette équation.
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Selon Green Ammonia: A Techno-Economic Supply Chain Optimization, la Méditerranée est appelée à devenir l’un des corridors énergétiques les plus stratégiques du 21ème siècle. Non plus pour les hydrocarbures, mais pour les molécules vertes. Grâce à ses façades atlantique et méditerranéenne, à ses infrastructures portuaires et à ses projets industriels, le Maroc s’y impose comme une plateforme de production et de transit de premier plan.
Cette centralité transforme également le rôle du Royaume sur le continent africain. La capacité à produire et exporter de l’ammoniac vert ouvre des perspectives d’approvisionnement régional en engrais décarbonés, en carburants propres pour le transport maritime et en intrants industriels bas carbone. Le Maroc apparaît ainsi comme un potentiel diffuseur de transition énergétique vers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, régions fortement dépendantes des importations d’hydrocarbures. Toutefois, le rapport insiste sur les fondamentaux qui sous-tendent la compétitivité marocaine notamment les ressources solaires et éoliennes, une combinaison qui favorise l’afflux d’investissements internationaux d’un écosystème industriel structuré autour des «green molecules».
La dimension politique de ce positionnement est tout aussi déterminante, car en s’affirmant comme fournisseur stratégique de l’Union européenne, le Maroc renforce sa centralité diplomatique. La sécurité énergétique verte de l’Europe dépendra en partie de partenaires fiables capables de garantir des flux stables d’ammoniac vert.
Le rapport de la BTU n’emploie pas le vocabulaire géopolitique, mais ses conclusions économiques traduisent une réalité politique implicite et les auteurs du rapport rappellent que la concrétisation de ce potentiel suppose des investissements lourds dans les électrolyseurs, les unités de synthèse, les terminaux portuaires spécialisés et les réseaux électriques. La crédibilité carbone des exportations constituera également un facteur déterminant, l’accès au marché européen étant conditionné à des mécanismes de certification stricts.







