Soutien à l’investissement: 1 million de dirhams, un ticket d’entrée hors de portée des TPE

La note de présentation du PLF 2026 devait répondre aux besoins différenciés des entreprises selon leur cycle de vie et de la croissance à la restructuration.

Les TPE, qui représentent 98% du tissu entrepreneurial et 83% de l’emploi, restent largement à l’écart du nouveau fonds d’investissement prévu par le PLF 2026: avec un seuil d’accès fixé à un million de dirhams, la plupart d’entre elles en sont de facto exclues. Un dispositif qui, selon Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine des TPE-PME, illustre encore «une politique économique à deux vitesses», où les plus petits acteurs peinent à accéder au soutien public.

Le 11/11/2025 à 13h04

«Le PLF 2026 favorise principalement les grandes entreprises, au détriment des très petites structures», estime d’emblée Abdellah El Fergui. Selon lui, les mesures prévues constituent un fardeau supplémentaire pour des entités déjà en difficulté.

La note de présentation du PLF 2026 annonçait pourtant un dispositif ambitieux de soutien spécifique aux TPME, à travers le décret n° 2-25-342, incluant un programme d’accompagnement et de financement piloté par Maroc PME. Ce dispositif devait répondre aux besoins différenciés des entreprises selon leur cycle de vie — de la croissance à la restructuration.

Mais, pour le président de la Confédération, la réalité du terrain est tout autre: «On annonce un fonds de soutien à l’investissement pour les TPE-PME, mais dans les faits, les conditions d’accès excluent les TPE. Un investissement minimum d’un million de dirhams est exigé. Comment une petite structure peut-elle remplir ces critères?»

Une politique fiscale qui «creuse les inégalités»

Le cœur des critiques de Abdellah El Fergui porte sur la réforme fiscale proposée. En alignant le taux d’imposition des TPE sur celui des grandes entreprises à 20%, le gouvernement, selon lui, commet une erreur structurelle: «Ce nivellement par le haut ignore totalement la capacité contributive des TPE. Cela revient à pénaliser les petits acteurs pour renforcer les plus solides.»

Dans le même temps, le PLF 2026 réduit le taux d’imposition des grandes entreprises de 35% à 20%, un signal qui, selon El Fergui, «traduit une orientation pro-patronale, favorisant l’attractivité des grands groupes et des investisseurs étrangers, au détriment de la compétitivité locale».

Le dirigeant rappelle également que le quota de 20% des marchés publics destinés aux TPE-PME, inscrit dans les textes depuis 2013, n’est toujours pas appliqué faute de décrets d’application. «Ce non-respect des engagements publics contribue à affaiblir les TPE, qui peinent à accéder à la commande publique, un levier pourtant essentiel pour leur survie», souligne-t-il.

L’arrêt des programmes Intelaka et Forsa, qui visaient à soutenir l’entrepreneuriat des jeunes et des microstructures, est également perçu comme un revers majeur. «Des dizaines de milliers de bénéficiaires se retrouvent aujourd’hui en difficulté pour honorer leurs traites bancaires. Ces initiatives, bien qu’imparfaites, étaient une bouffée d’oxygène pour le tissu entrepreneurial local», explique Abdellah El Fergui.

Il estime que la disparition de ces dispositifs laisse un vide que le PLF 2026 ne comble pas. «Le gouvernement annonce un nouveau cadre contractuel entre l’État et l’ANPME pour la période 2025-2030, mais tant que les TPE restent exclues des programmes de financement et de la commande publique, ces mesures resteront symboliques.»

Un appel à une réforme fiscale différenciée et à un financement inclusif

Pour El Fergui, la stratégie économique du gouvernement privilégie une logique de grands chantiers — infrastructures, énergie, dessalement, numérisation — dont les retombées profitent principalement aux grandes et moyennes entreprises. «On parle de croissance inclusive, mais les TPE, qui représentent plus de 98% du tissu entrepreneurial marocain et 83% de la main-d’œuvre, ne bénéficient pas d’un environnement propice à leur développement», déplore-t-il.

Cette orientation, selon lui, risque de renforcer les disparités économiques et territoriales: «En marginalisant les TPE, on accentue les déséquilibres régionaux et on fragilise le socle social, déjà mis à mal par le chômage et les retards de paiement.»

Face à ces constats, Abdellah El Fergui formule plusieurs recommandations concrètes. La première concerne la mise en place d’une fiscalité différenciée: «Il faut réintroduire une progressivité de l’impôt, adaptée à la taille et à la capacité financière de chaque entreprise.»

La deuxième porte sur l’accès au financement. Il plaide pour la création d’une Banque d’État dédiée aux TPE, qui garantirait des prêts à taux préférentiels et des garanties publiques. «Les TPE n’ont pas besoin de fonds inaccessibles, mais de mécanismes souples et directs qui tiennent compte de leur réalité.»

El Fergui appelle à un dialogue économique plus inclusif: «Les discussions autour du PLF se limitent souvent aux grandes organisations patronales. Les représentants des TPE ne sont ni consultés ni entendus. Pourtant, c’est à ce niveau que se joue la relance de l’économie réelle.»

Une approche de gouvernance en question

Abdellah El Fergui ne cache pas son scepticisme face à la gouvernance actuelle: «Nous sommes face à un gouvernement qui, dans les faits, oriente sa politique économique vers le patronat. Le lancement du fonds de soutien à Errachidia en est la preuve: les conditions fixées sont taillées pour les entreprises intermédiaires, pas pour les TPE.»

Il évoque également un manque de transparence dans la gestion publique: «Les scandales liés aux marchés, aux fonds de soutien ou aux conflits d’intérêts alimentent le scepticisme et sapent la confiance des entrepreneurs. Tant que la gouvernance économique ne sera pas plus rigoureuse et équitable, il sera difficile de restaurer la crédibilité des institutions.»

Le président de la Confédération des TPE-PME dresse un constat sévère: «Nous avançons vers une économie à deux vitesses: celle des grandes entreprises, intégrées aux circuits de financement et bénéficiant d’incitations, et celle des TPE, livrées à elles-mêmes, sans accompagnement réel.»

Selon lui, les orientations du PLF 2026 risquent de compromettre les ambitions du pays en matière de cohésion sociale et de développement équilibré: «Le Maroc ne pourra réussir sa transformation économique sans inclure les TPE, qui constituent le cœur battant de son économie. Les discours doivent se traduire en politiques concrètes, mesurables et équitables.»

Et de conclure, avec gravité: «Tant que les TPE ne seront pas considérées comme un acteur stratégique et non comme un segment secondaire, la relance économique restera incomplète et inégalitaire.»

Par Mouhamet Ndiongue
Le 11/11/2025 à 13h04