C’est la nomination qui a le plus retenu l’attention ce week-end. Les réactions, après l’annonce du nom du nouveau PDG de la RAM, se sont multipliées et ce n’est pas tant le profil du nouveau patron, Abdelhamid Addou, qui attise la curiosité que le départ «surprise» de Driss Benhima.
Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour voir que beaucoup lient ce «limogeage» aux dernières scandaleuses vidéos sur des vols de la compagnie nationale (cafards se «baladant» près des repas devant être servis aux passagers, chien comme passager VIP…). D’autres vont jusqu’à citer la récente polémique sur les prix du kérosène qui a failli créer une rupture entre la compagnie aérienne et l’un des distributeurs d’hydrocarbures les plus importants du marché, à savoir Afriquia.
Les informations obtenues par le360 portent à croire que ces incidents ne participent ni de près ni de loin à l’éviction du désormais ancien patron de la RAM. Ce sont d’autres faits, moins médiatisés, qui auraient eu raison de son poste.
Depuis quelques années déjà, les relations entre Driss Benhima et l’une des familles les plus influentes de la scène économique, à savoir les Bensalah, n’étaient pas vraiment au beau fixe. Ces derniers auraient milité et obtenu gain de cause pour la mise à l’écart de Driss Benhima.
La bataille de l’aéroport de CasablancaLa relation tendue entre les deux parties avait démarré lors de l’annonce de la contribution du groupe Holmarcom, en partenariat avec le groupe FinanceCom, au lancement de la compagnie Air Arabia Maroc en 2009. A travers leur filiale commune, Régional Air Lines, les groupes Holmarcom et FinanceCom prenaient 51% du capital de Air Arabia Maroc. Et pour ne rien arranger, la nouvelle compagnie allait bénéficier d’une décision du ministre de tutelle de l’époque, Karim Ghellab, que d’aucuns ont qualifié d’«aberrante».
Air Arabia Maroc avait en effet été autorisée à faire de l’aéroport Mohammed V son hub alors que, dans les autres pays, l’Etat réserve l’aéroport principal comme hub à la compagnie nationale. Pour s’en convaincre, il suffit de citer Air France qui exploite à Paris Charles de Gaulle, le hub le plus puissant d’Europe en termes de correspondances, ou encore l’aéroport Heathrow à Londres comme outil stratégique pour British Airways.
C’est ainsi qu’au fil des ans, Air Arabia Maroc est devenue un concurrent de la RAM sur les marchés européens. Mais, même si elle la dérangeait, la RAM supportait cette concurrence grâce à la stratégie de diversification des marchés où elle opérait. Ceci jusqu’au jour où Air Arabia Maroc a commencé à avoir des visées sur l’Afrique. Ce marché, qui est aujourd’hui l'un des principaux contributeurs aux performances de la RAM, a de quoi revêtir l’aspect d’une chasse gardée.
En 2015, pourtant, Air Arabia Maroc s’apprêtait à avoir gain de cause, en négociant un partenariat au Sénégal selon les termes duquel la compagnie Low Cost allait desservir Dakar à partir de Casablanca. Selon des sources dans le secteur aérien, il était hors de question pour Driss Benhima qu'Air Arabia Maroc vienne concurrencer la RAM sur sa ligne la plus prolifique vers l’Afrique subsaharienne.
Dakar, la pomme de discordeSelon l’entourage des Bensalah, le patron de la RAM aurait alors fait des mains et des pieds pour empêcher la concrétisation de ce projet. Il est finalement parvenu à ses fins avec l’annulation in extrémis de la signature de la convention de partenariat entre Air Arabia Maroc et le Sénégal en mai 2015.
Cet épisode n’a pas été digéré par le management d’Air Arabia Maroc et les actionnaires de la compagnie ont très mal pris le protectionnisme exercé par la RAM pour garder son monopole. D’ailleurs, en décembre dernier, en marge d’un sommet arabe sur l’aviation à Bahrein, Adel Abdullah Ali, PDG du groupe Air Arabia, nous confiait toute son amertume quant au monopole réservé par les autorités marocaines à la RAM sur les dessertes africaines.
Bien qu’il ne se soit pas clairement prononcé sur les raisons qui pourraient expliquer ce «protectionnisme» dont bénéficierait la RAM, le patron d’Air Arabia reconnaissait tout l’intérêt que représentait un tel marché pour la filiale marocaine du groupe. De plus, «le Maroc a besoin d’une deuxième compagnie sur ces dessertes pour capter tout le flux qui lui échappe aujourd’hui», nous a-t-il expliqué.
Ceci pour dire qu'Air Arabia n’avait pas réellement abandonné l’idée de desservir l’Afrique à partir de Casablanca. Mais cela n’aurait jamais été possible tant que Driss Benhima, avec son opiniâtreté, dirigeait encore la compagnie nationale.
Face à cette situation, selon des sources bien informées, les actionnaires d’Air Arabia Maroc, et particulièrement le groupe Holmarcom, auraient milité en coulisse pour un changement à la tête de la RAM. Leur lobbying a fini par payer. Surtout que Driss Benhima s’apprêtait à clôturer dix ans comme PDG de la RAM et qu’en dépit des résultats obtenus à la tête de cette compagnie, il était temps de céder la place à d’autres.
C’est ainsi qu’à l’initiative du ministre de l’Equipement, du transport et de la logistique, le souverain a acté, à l’issue du conseil des ministres de ce 06 février, la nomination de Abdelhamid Addou comme nouveau PDG de la RAM, en remplacement de Driss Benhima.
Ceci étant, si cette décision en réjouit finalement plus d’un, des questions restent toutefois en suspens: pourquoi venir en aide à une compagnie low cost au détriment de la compagnie nationale, surtout qu’elle compte parmi ses actionnaires des investisseurs qui ont déjà fait faux bond au Maroc? En effet, dans le tour de table d’Air Arabia Maroc, on trouve les frères bahreinis Issam et Khalid Janahi à travers Gulf Finance House.
Or, ces derniers ont déjà failli par le passé à leurs engagements vis-à-vis du Maroc, après avoir bénéficié entre 2006 et 2007 de fonciers stratégiques dans des villes comme Tanger et Marrakech sans pour autant concrétiser les projets annoncés. Ces projets immobiliers devaient porter sur 7 milliards de DH et des sources bancaires ont même rapporté que des prêts de plusieurs centaines de millions de DH ont été octroyés par des banques marocaines pour leurs financements, sans que les chantiers annoncés ne démarrent pour autant.
La seule explication avancée à l’époque renvoyait à l’impact de la crise financière internationale de 2008 sur les investisseurs du Golfe. Ce qui aurait poussé Gulf Finance House à «suspendre» les investissements prévus au Maroc. Sauf qu’entre 2008 et aujourd’hui, la conjoncture a bien changé, mais les projets n’ont toujours pas vu le jour.
Les vols de Casablanca à Dakar sont moins sujets à spéculation que le foncier. Il reste à savoir si le nouveau PDG de la RAM va opposer la même ténacité que son prédécesseur à l'ouverture de la ligne Casablanca-Dakar pour Air Arabia ou bien laisser ouvrir les premières brèches dans ce qui constitue la plus belle réussite de la compagnie nationale: ses correspondances en direction de l’Afrique subsaharienne à partir de l’aéroport Mohammed V.