L’offshoring du digital: promouvoir des champions nationaux compétitifs à l’international

Lahcen Haddad.

TribuneLe Maroc a besoin de champions nationaux forts dans l’offshoring du digital, surtout des petites et moyennes entreprises agiles et capables de conquérir une part du marché international. L’opportunité est là, il faudra seulement savoir la saisir.

Le 30/04/2024 à 15h06

L’offshoring digital est un secteur prometteur et créateur de richesses. Selon Statista, la valeur de l’outsourcing dans le secteur des technologies de l’information (IT) a dépassé les 400.000 milliards de dollars en 2023, et est appelée à dépasser les 500.000 milliards en 2027. Une partie importante de l’outsourcing provient de l’offshoring. Dominé par l’Inde, la Chine, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, Taïwan, le Pakistan, la Pologne, l’Ukraine, le Mexique et d’autres, le marché de l’offshoring digital est en pleine évolution, et est susceptible de devenir une inestimable source de valeur ajoutée et d’emplois, surtout qu’il jouit d’une grande attractivité auprès d’une jeunesse éprise des innovations technologiques et des promesses du monde digital.

Occupant la troisième place au niveau africain, après l’Afrique du Sud et l’Égypte, et la cinquième place au niveau arabe, après l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Bahreïn et la Jordanie, le Maroc est un marché émergent de l’offshoring digital. Pour le moment, l’activité est dominée par la délocalisation et demeure ainsi dépendante des donneurs d’ordre européens. Bien sûr, il y a des sociétés innovantes exportatrices, telles que HPS , Finatech, CBI et d’autres, qui sont en mesure de jouer un rôle de locomotive, mais le marché n’est pas encore arrivé à un point de maturité lui permettant d’être compétitif sur le plan international. Il lui faut une masse critique de champions nationaux avec une portée internationale avérée.

Il faut aussi que le pays soit réputé pour avoir un environnement favorable au Doing Business Digital (Bhaskar Chakravorti et Ravi Shankar Chaturvedi, «Ranking 42 Countries by Ease of Doing Digital Business», Harvard Business Review, 5 septembre 2019). Et il faut toute une armée de jeunes freelancers capables et passionnés de solutions digitales (6% des Singapouriens sont par exemple des freelancers selon Tan Siew Ann, «Freelance Statistics and Trends in Singapore: a Detailed Look: How Many Freelancers are here in Singapore? And which Freelance Jobs are Most Popular?», LancerX, 9 août 2021).

Le Maroc a besoin de champions nationaux forts, surtout des petites et moyennes entreprises agiles et capables de conquérir une part du marché international. L’opportunité est là, il faut seulement savoir la saisir. Des incitations fiscales, une réglementation propice, des parcs industriels dédiés et des réformes réelles susceptibles de créer un climat d’affaires encourageant sont les facteurs qui ont porté l’Inde au sommet de l’offshoring digital. Le Maroc doit s’y mettre, mais en gardant en tête les spécificités du pays au niveau du climat des affaires et de l’infrastructure dédiée.

Les équipements logistiques et les incitations fiscales existent, mais elles servent davantage les grandes entreprises que les PME du digital. La disposition fiscale d’un seuil de 20% d’IR pour les entreprises d’offshoring qui s’installent dans une zone nearshore est avantageuse pour les sociétés qui ont la capacité de louer un plateau de 300 à 400 m2, la plus petite superficie dans les zones nearshore et les technopoles. Ce genre d’infrastructure est hors de portée des PME et quasi impossible pour les TPE. Mettre en place des accélérateurs d’offshoring digital (différents des accélérateurs des startups) en faveur des PME/TPE est une solution qui a donné des résultats dans plusieurs pays.

Par ailleurs, après la crise du Covid, plusieurs jeunes ont continué à servir des clients étrangers individuellement en tant que freelancers, après avoir gagné la confiance de leurs clients. Ils se sont constitués en petits groupes de 5 à 20 et continuent à servir et à exporter des solutions digitales à des clients partout dans le monde. Le ministère chargé de la Transition numérique doit les chercher et voir comment les aider à devenir des champions nationaux de l’export. Les Indiens sont agressifs dans ce sens, mais les jeunes Marocains peuvent se targuer d’un rôle également important si on leur ouvre la porte via un soutien ciblé et répondant à leur besoin.

Il faut commencer déjà par établir une cartographie de ces jeunes créateurs et créatrices de solutions digitales exportables. Où sont-ils? Que font-ils? Où sont-ils installés? Combien sont-ils? Quelles sont leurs structures et leurs ressources? Il est étrange qu’on ne dispose pas de ces informations. Comment peut-on agir sans données? L’information sur ce secteur émergent et prometteur va permettre aux pouvoirs publics, en concertation avec les professionnels, de prendre les décisions qui s’imposent pour hisser le Maroc au rang des leaders mondiaux de l’offshoring digital.

Sans champions nationaux, composés de moyens et petits acteurs, agiles et agressifs, on n’y arrivera pas. Pour qu’ils soient compétitifs, ces champions nationaux doivent offrir des services à des prix avantageux, disposer d’un pool critique de compétences dans le domaine, et se baser sur des solutions technologiques avant-gardistes (AI, IoT, réalité augmentée, Quatum computing, datafication, DeepTech, Biotech, Agritech, D-Printing, etc.). Avoir la capacité de suivre le mouvement des marchés mondiaux et la mondialisation est primordial. Par ailleurs, les Indiens et les Philippins sont présents 24 heures sur 24 pour leurs clients sur tous les fuseaux horaires. Pour que les jeunes champions marocains soient compétitifs, il leur faut un soutien des pouvoirs publics, dédié, ciblé, continu et volontariste.

Enfin, il faut que l’approche soit intégrative. Sans équité territoriale, on risque de reproduire les mêmes disparités entre le rural et l’urbain et entre les régions côtières et les régions intérieures et enclavées. Le manque en infrastructures du digital et même en couverture téléphonique est flagrant dans les zones rurales et montagneuses. Réduire ces disparités aura un effet transformateur sur les jeunes de ces régions avides d’exceller dans le domaine.

Le Maroc dispose d’atouts importants dans le domaine du digital. Il suffit des les traduire en opportunités via une politique efficace. Commençons par la mise en place de champions nationaux de l’export et par un vivier critique de freelancers agiles, compétents et agressifs sur le marché international.

Par Lahcen Haddad
Le 30/04/2024 à 15h06